"Le monde est si grand", pensa-t-elle. Et elle avait envie de tout voir.
Wadjda a 11 ans, une répartie malicieuse, un cœur indomptable et un seul rêve : obtenir le beau vélo vert qu'elle a vu en vitrine, pour faire la course avec son ami Abdullah. Et gagner !
Mais en Arabie Saoudite, il est interdit aux filles de faire du vélo et ses parents refusent de le lui acheter. Obstinée, Wadjda multiplie les stratagèmes pour réunir les 800 rials nécessaires. Vendre des compilations de musique interdite et des bracelets qu'elle confectionne après l'école, faire passer en secret des messages aux amoureux : l'adolescente prend de plus en plus de risques...
(texte : service de presse)
Mon avis :
L'histoire d'une petite fille cherchant à affirmer sa personnalité dans un pays où on l'oblige à la gommer.
Affichant un style bien à elle malgré l'abaya qui la couvre, contournant les proscriptions imposées à son sexe ("Elle s'en fichait complètement"), Wadjda est rebelle dans l'allure comme dans l'attitude. Mais c'est une indisciplinée maligne, cherchant constamment "le moyen de contourner le système" plutôt qu'en optant pour l'affrontement. Ses petits trafics lui vaudront néanmoins plus d'une punition par l'intransigeante directrice Mme Hessa !
Et on s'indigne avec Wadjda de tous ces interdits ("C'est haram !") allant du patin à glace aux chansons d'amour, de toutes ces obligations (à se voiler, à éviter les garçons), à ces autorisations parentales pour tout (y compris rentrer chez soi après l'école !), au nom d'une soi-disant moralité basée sur les "superstitions ridicules" d'un autre âge. Se balader à vélo en fait partie : "Les vélos sont dangereux pour les filles ! Je ne sais pas ce que nous aurions fait si la chute avait abîmé ta virginité !"... Il en ressort un profond sentiment d'injustice, d'autant plus que les garçons, inversement, se voient tout permis. Le père de Wadjda en est un excellent exemple, lui qui s'offre de la technologie dernier cri et qui bénéficie d'un salon personnel où "tout était neuf et beau" alors que son épouse doit se débrouiller avec son maigre salaire, gagné au prix de mille sacrifices quotidiens.
A un âge charnière entre l'enfant et la femme, Wadjda commence à prendre la pleine mesure de ce qui l'attend. Il faut désormais qu'elle se couvre davantage pour se cacher du regard des hommes : "Entièrement couverte de noir, elle ressemblait à un fantôme anonyme." Comment afficher sa différence quand on ressemble à n'importe qui ? Si l'école (de filles, bien sûr) apporte "quelque liberté", sa maison est le seul endroit "où sa mère et elle pouvaient être elles-mêmes, détendues et heureuses, à l'abri du monde extérieur." Une constatation bien triste et qui va amener cette petite dégourdie, non pas à rentrer dans le rang, mais à se battre avec les armes qu'on lui donne (à savoir le Coran).
Car Wadjda a à cœur de faire reconnaître ses "nombreux talents inattendus", à son père, mais aussi à son ami Abdallah. Ce vélo vert qu'elle admire depuis des semaines dans la vitrine du marchand, "c'était plus qu'un vélo", c'est tout un symbole, celui d'un "nouveau monde" à venir dans ce pays rétrograde, d'une égalité possible entre hommes et femmes : "Elle allait pouvoir avancer à son côté, à présent". On sent bien l'évolution de la fillette au fil du roman. Wadjda est un personnage tout en nuance, qui réfléchit et analyse ce qu'elle voit et entend, à commencer par sa mère qui va elle aussi se transformer imperceptiblement, sans que l'on puisse dire clairement laquelle influence l'autre. Les relations entre Wadjda et sa mère, mais aussi celles, plus sporadiques, avec son père, en disent long sur les mentalités et surtout les tabous encore en vigueur en Arabie Saoudite. Mais si "rien n'est facile, dans la vie", Wadjda comprendra que "cela en valait la peine" de faire des concessions, que l'on peut s'accommoder de la réalité sans pour autant se renier, et que ce ne sont pas forcément les combats les plus retentissants qui sont les plus efficaces. Dès lors, "l'avenir lui appartenait".
Patricia Deschamps, mars 2018