Alexandra n'a peur de rien... Ne doute de rien.
1959. La jeune Marie-Madeleine entre au service d'une vieille femme despotique : Alexandra David-Néel, exploratrice, philosophe, écrivain, qui fut, au début du siècle, la première femme blanche à entrer au Tibet.
Dans la villa de Digne où s'entassent les souvenirs de quatorze années passées en Asie, Marie-Madeleine se retrouve plongée dans la vie exceptionnelle de l'aventurière, de sa conversion au bouddhisme jusqu'à sa rencontre avec le Dalaï-Lama. Et bien que la vieille femme soit aussi exigeante que fascinante, des liens profonds vont peu à peu se tisser avec la jeune employée...
Mon avis :
Inspirée du livre de Marie-Madeleine Peyronnet, cette bande dessinée nous fait découvrir l'extravagant personnage qu'est l'exploratrice Alexandra David-Néel, à travers les yeux de celle qui fut à son service pendant les dix dernières années de sa vie, jusqu'à sa mort à l'âge de 101 ans. L'album alterne entre le quotidien de la vieille femme dans sa maison de Digne-les-Bains entièrement dédiée aux souvenirs de sa vie d'aventurière en Asie, et les moments-clés de cette période faste. Curieusement, c'est le présent qui est illustré en sépia, et le passé en couleur, comme s'il était toujours vivace et la seule chose importante pour Alexandra. Celle-ci passe d'ailleurs ses journées à écrire le récit de son incroyable voyage, et l'on sent que c'est cet objectif qui la maintient encore en vie.
L'exploratrice est un véritable "phénomène". Sa "force farouche, sa volonté inaltérable" forcent l'admiration. Au Tibet, elle voyage par étapes de 20 à 30 km par jour, et pour que les Tibétains la respectent en tant que chef, elle a à cœur d'adopter leurs coutumes. Tout au long de son parcours, elle sera accompagnée du jeune Yongden qui deviendra son fils adoptif. La partie documentaire qui suit l'album, très claire et abondamment illustrée de photographies d'époque, apportent toutes les précisions nécessaires à qui "ce monde est totalement inconnu".
Le contraste est saisissant entre cette femme riche d'expériences et sa servante si peu cultivée. Mais Marie-Madeleine est curieuse, et sa patience n'empêche pas les colères quand sa patronne dépasse les bornes. Alexandra est très dure avec elle, voire capricieuse, et pourtant Marie-Madeleine s'attache à elle rapidement. Il est dit que l'aventurière peut aussi se montrer "une vraie femme de cœur d'une très grande sensibilité" mais je n'ai pas trouvé que cela se ressentait dans la BD. Le seul moment où Alexandra se confie un peu, c'est lorsque Marie-Madeleine lui masse ses jambes atteintes de prurit : "Comprends-tu, ma tortue, que lorsqu'on souffre, on a de bonnes raisons d'être désagréable?".
L'album se termine en pleine évocation de souvenir, tandis qu'Alexandra est sur la route de Lhassa, la capitale du Tibet, "son objectif secret". Suite et fin dans le livre 2 !
Patricia Deschamps, mai 2019
Seule la mort arrêtera Alexandra David-Néel.
Mon avis (★★★★) : Ce second tome laisse plus de place aux souvenirs et c'est tant mieux ! Alexandra se sait mourante et le besoin de voyager la taraude toujours, bien qu'elle soit presque totalement infirme : "C'est là-bas que j'aurai dû mourir"... Les retours en arrière affluent, remontant toujours plus loin dans le temps à travers l'évocation de son mari, de ses "aspirations d'orientaliste débutante", de son enfance. Toutes ces anecdotes permettent de mieux la connaître et la rendent plus attachante.
Par ailleurs, on sent davantage la complicité et la tendresse qui unissent les deux femmes. Alexandra savait se montrer "charmante hôtesse" avec les visiteurs et il est impressionnant de voir qu'elle a su maintenir jusqu'au bout une activité intellectuelle intense (recherches, lectures philosophiques, écriture de ses mémoires) et ce, quotidiennement. Le dernier chapitre évoque toutes les initiatives de Marie-Madeleine pour "perpétuer le souvenir d'une femme hors du commun" après la mort de l'exploratrice, notamment la publication de sa correspondance avec son époux et la transformation de la maison en musée. La partie documentaire, rédigée par le conservateur du musée des arts asiatiques-Guinet, à l'origine de la vocation d'Alexandra, apporte des précisions sur le bouddhisme tibétain.
Patricia Deschamps, mai 2019