"Elle sortait maintenant du couvent, radieuse, pleine de sèves et d'appétits de bonheur, prête à toutes les joies".
Telle est, à seize ans, en 1819, Jeanne Le Perthuis de Vauds. Et sa première joie est de retrouver ses parents et le manoir normand de son enfance. Pourtant, une autre attente pourtant l'enfièvre: l'amour. Il aura le beau et noble visage du vicomte Julien de Lamare. Hélas, sous les coups de la réalité et des malheurs, les rêves, très vite, meurent.
(éd. J'ai lu, 1986, 4e de couverture)
Mon avis :
C'est toujours un plaisir de relire Maupassant (écrivain de chez nous, la Normandie!), même si cette histoire-là est un peu déprimante. Dans la première partie, on découvre la "vie charmante et libre" de Jeanne à la sortie du couvent, ses longues balades dans la campagne normande ou en bord de mer (le manoir familial est proche d'Etretat), seule ou avec son père ("le baron"). On imagine très bien la beauté et la tranquillité des paysages. Jeanne a des parents aimants et compréhensifs et leur aisance financière lui offre une vie oisive.
Et voilà qu'elle rencontre le séduisant vicomte de Lamare. Dès lors tout va très vite. Les fiançailles, le mariage, la nuit de noces, le voyage en Corse... tout semble expédié. D'ailleurs, à peine rentrée que Jeanne a déjà le sentiment d'avoir accompli "le tour du bonheur"! N'aurait-elle pas confondu "le désir d'aimer" avec l'amour véritable, se laissant précipiter dans les bras de ce Julien? Les pleurs de "petite mère" quand elle a dû confier sa "fillette adorée" ("Tu appartiens toute entière à ton mari"), sa déchéance physique inéluctable, les heures passées autour de son "tiroir aux souvenirs" laissent supposer qu'elle sait la désillusion qui attend Jeanne...
Rosalie, la petite bonne et sœur de lait, le sait aussi, mais pour une autre raison que l'on comprend plus tard... A peine la phase de séduction passée que Julien se révèle brutal (ces pauvres jeunes filles qu'on laissait dans l'ignorance complète des "obligations conjugales"!), avare et autoritaire. Il prend peu à peu la direction de la maison et de la fortune familiales. Jeanne se retrouve prise dans "les longs ennuis de la vie monotone" tandis que son mari se distrait avec la comtesse voisine.
On aurait pu croire que le bonheur reviendrait avec la naissance de son fils Paul ("Poulet"). C'est le cas tant qu'il est petit, dorloté par ses grands-parents et la touchante (car délaissée) tante Lison. Mais Jeanne ayant construit sa vie autour de cet enfant, le passage à l'âge adulte est aussi désastreux que cruel (y compris pour lui). Les déconvenues s'enchaînent. La solitude s'installe. Elle qui avait tout -la beauté, la richesse, des parents aimants- se retrouve à mener une vie misérable faite de souvenirs et de regrets.
L'arrivée de sa petite-fille peut laisser entrevoir un regain d'espoir... ou pas, si l'histoire se répète. On ressort de ce roman partagé entre la résignation ("Tout le monde était perfide, menteur et faux. On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts") et l'envie de profiter de sa vie pour ne pas finir de la même façon!
Patricia Deschamps, mai 2023