Chez les Manzatti, on n'est pas riches mais la virée estivale loin de la cité, c'est sacré! Cette année, direction le Sud.
Dans le vieux monospace, Eugénie, coincée entre sa toute petite sœur Juliette et sa sœur adolescente Adèle, elle-même accompagnée de sa meilleure copine, a du mal à trouver sa place. Ni grande, ni petite, elle est celle du milieu... L'été de ses dix ans, elle le vit dans un drôle d'état entre joie et tristesse, bonheur des randonnées en vélo ou en canoë, plaisir des jeux de l'enfance et amertume de perdre Adèle qui la snobe et ne pense qu'aux garçons.
Des émotions changeantes la traversent tandis qu'elle prend conscience de son corps et du regard des autres. L'amour la dégoûte et pourtant, voilà que son cœur s'emballe devant un jeune joueur de tambour aperçu dans la fanfare du 14 juillet. Qu'est-ce qui se passe cet été ? Tout est presque pareil que les autres années, et pourtant Eugénie ne se reconnaît plus.
Mon avis :
Un roman plein de sensibilité qui sent bon les vacances, un regard plein de tendresse sur le délicat passage de l'enfance à l'adolescence.
L'été de ses dix ans marque un tournant dans la vie d'Eugénie. "Ni grande, ni petite, celle du milieu", elle en a assez d'être "la plus docile", celle que l'on place "un coup du côté des grandes, un autre du côté de Juliette" la petite dernière. Eugénie veut s'imposer davantage face à Adèle, l'aînée de 14 ans qui joue la "princesse qui, depuis que je suis née, n'a toujours pas réalisé qu'elle n'était plus la seule, l'unique, le joyau de la famille" et Juliette qui, du haut de ses deux ans, requiert beaucoup d'attention. Eugénie aimerait, de temps en temps, avoir "mes parents seuls avec moi" et les traditionnelles vacances dans le sud, alors que ceux-ci sont plus disponibles, lui semble le moment idéal.
Car depuis quelque temps, la fillette se sent tiraillée entre l'enfance qui s'enfuit et l'adolescence qui affleure ("toutes ces émotions en moi qui me secouent et me bouleversent"). Sa sœur, avec ses préoccupations nouvelles (maquillage, vêtements, garçons), s'éloigne de leurs jeux habituels, même si elles retrouvent leur complicité d'autrefois le temps d'un après-midi plongeons dans la rivière. D'un autre côté, Eugénie aimerait se faire plus féminine parfois, avec une jolie robe, du vernis et un petit sac. Elle oscille ainsi entre l'enfant pleine de rêves (devenir Jane Goodall), bourrée d'imagination qui joue dans la cours avec ses figurines d'animaux, et le désir de découvrir d'autres choses de la vie.
En réalité, Eugénie a peur de grandir ("le temps heureux que je ne peux pas retenir") et souhaiterait "demeurer pour toujours la petite sauvageonne" de ses parents. Elle redoute l'entrée au collège, ce "pays qui m'est complètement étranger" et de manière générale, l'adolescence: "C'est moche, l'adolescence. Et je n'ai pas envie d'y aller".
S'il ne se passe pas grand chose pendant ces quinze jours à Saint-Chinian (une balade à vélo, un tour au marché, une soirée bal du 14 juillet...), on prend plaisir à l'évocation de ces incontournables des vacances en famille et à suivre les interrogations de la jeune héroïne, attendrissante.
Auprès de sa "super famille" davantage à l'écoute de ses délibérations intérieures qu'elle ne le pensait, Eugénie prendra peu à peu confiance et dans la scène du retour, qui fait écho au grand départ au début du roman, on sent tout le parcours personnel qu'elle a accompli: désormais "je n'ai plus peur, je suis prête à me métamorphoser".
Patricia Deschamps, juillet 2020