- Ce ne sont pas toujours les enfants qui ont un problème, c'est le monde dans lequel ils vivent.
Entre une grande sœur dont la puberté explosive l'exaspère, un grand frère adoré mais absent, une mère aussi névrosée que formatée, un père architecte obnubilé par son chantier en cours, Jérémy, huit ans, peine à trouver sa place. A l'école non plus, ce n'est pas la joie. Ses goûts et ses activités décalées lui valent d'être à l'écart des autres.
Alors pour lui tenir compagnie, Jérémy s'est inventé une amie imaginaire et secrète, April March, fillette délurée qui s'est échappée de son pensionnat anglais. Mais plus les mois passent, plus le petit garçon s'enferme dans ce monde où il trouve refuge...
(Texte d'après Fabienne Jacob,
Livres Hebdo du 30/06/2017)
Mon avis :
Quand la solitude d'un petit garçon pointe les travers de notre société.
"Se lever. S'habiller. Petit-déjeuner. Monter dans la voiture. Des matinées constituées d'un enchaînement d'actions, lui un automate, prêt à revivre la journée de la veille, la journée du lendemain." : d'emblée, Jérémy pose son quotidien - notre quotidien - comme aliénant. Relations sociales forcées pour lui à l'école, pression et stress au travail pour ses parents, et le weekend, animaux sauvages domestiqués dans les zoos ou encore surconsommation dans les centres commerciaux : "Où qu'il fût, il se cognait contre le quotidien, emberlificoté dans des considérations terre à terre", et pour lui qui n'aspire qu'à un peu de calme et de rêverie, "le monde est trop bruyant. Le monde va trop vite." Aimant la lecture, jouer aux billes et aux Lego, détestant le foot ("Il préférait son statut de remplaçant qui n'entre jamais sur la pelouse."), Jérémy est en décalage avec ses camarades comme en témoigne la fête d'anniversaire de son copain Wilfried : "De baignade il n'y eut point, ni d'activités dans le jardin ou de parties de cache-cache. Ils s'étaient agglutinés devant la PS4."
Préférant se tenir "à l'écart", il se réfugie dans son petit univers où règne l'imagination, élaborant toutes sortes de scénarios comme sont censés le faire les enfants de cet âge. D'ailleurs il aurait bien gardé le casque anti-bruit essayé sur le chantier de son père, "il le garderait vissé sur ses oreilles dès qu'on viendrait l'importuner. Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que vous dites ?" !.. Dans sa vie, "Jérémy aurait voulu de l'aventure" et le personnage d'April concentre tout ce à quoi il aspire : une vie de bohème, sans contraintes ni adultes pour les imposer : "April ne semblait obéir à personne, à aucune règle". La fillette apparaît par intermittence dans le texte, sous la forme de chapitres écrits en italique où elle raconte ses pérégrinations. Au fur et à mesure que Jérémy s'enferme dans son monde, ceux-ci deviennent de plus en plus longs et se teintent de fantastique, jusqu'à ce que rêve et réalité se télescopent...
L'attitude de son fils effraie la mère, à mille lieues d'envisager, tout simplement, que pour lui les autres représentent "de l'énergie brute en cascade", alors qu'elle est elle-même victime de ses collègues. Il n'y a "rien d'anormal" assurent pourtant les multiples spécialistes qu'elle rencontre, "c'est juste un enfant calme", "un garçon précoce, sensible, avec un fort caractère. Il est même assez drôle dans son genre". Vu de l'extérieur, c'est plutôt la grande sœur Flore qui, à treize ans, joue "the sexiest girl on earth", entre fêtes, alcool et sorties non autorisées ! Seul un bref séjour à la campagne, lors duquel parents et enfants seront "réunis loin des tensions et de la pression", fera office de bouffée d'oxygène.
On ne sait pas exactement quel élément déclenchera l'émergence de cet enfer (ou alors je n'ai pas bien compris la fin). "Il faut juste que tu te lances", conseille April à Jérémy (mais elle n'est qu'une voix en lui, non ? donc une auto-persuasion). Comme on l'aura compris, "il n'est jamais simple de sortir de l'enfance" et pour cela, il est "important de croire à quelque chose". Peut-être Jérémy a-t-il perçu de minimes changements porteurs d'espoir, comme le changement de travail de sa mère, une attention accrue de sa sœur, une disponibilité nouvelle de son père... Le garçonnet semble enfin dans l'acceptation, cependant il serait dommage qu'il renonce à ce qu'il est, parce que c'est lui qui est dans le vrai !
Patricia Deschamps, mars 2018
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