Une farouche liberté

par Gisèle HALIMI, avec Annick COJEAN

Gisèle Halimi : soixante-dix ans de combats, d’engagement au service de la justice et de la cause des femmes. Et la volonté, aujourd’hui, de transmettre ce qui a construit cet activisme indéfectible, afin de dire aux nouvelles générations que l’injustice demeure, qu’elle est plus que jamais intolérable. Gisèle Halimi revient avec son amie, Annick Cojean, qui partage ses convictions féministes, sur certains épisodes marquants de son parcours rebelle pour retracer ce qui a fait un destin.

(4e de couverture)

Mon avis :

C'est ma fille lycéenne qui m'a fait découvrir Gisèle Halimi: elle avait à analyser un extrait de son plaidoyer lors du procès de l'adolescente jugée pour avoir avorté après un viol. J'ai recroisé l'avocate féministe dans le roman de Catherine Cuenca, Nos corps jugés, dont l'histoire s'inspire dudit procès. Je me suis dit qu'il était temps de découvrir le parcours de cette femme incroyable!

Cette autobiographie (ponctuée des questions d'Annick Cojean) se lit très vite, tellement on est happée par le style vif dans lequel transparaît toute sa passion pour la cause féminine.

Son combat commence toute petite, en Tunisie, par une grève de la faim: Gisèle refuse de servir ses frères à table! Elle a déjà saisi combien les femmes sont injustement considérées (la "malédiction d'être femme"). Dès lors, elle ne cessera de travailler et de se battre pour imposer sa liberté de femme: volonté de faire des études d'avocate, de défendre les condamnés à mort lors de la guerre d'Algérie, de dénoncer la torture et le viol (c'est l'affaire Djamila Boupacha, agent de liaison du FLN, qui la fera connaître), sans oublier le droit à l'avortement (elle a participé au Manifeste des 343).

Ce que l'on connaît moins peut-être, c'est son engagement politique. Gisèle Halimi a été députée et pendant son mandat, a rédigé et déposé une dizaine de propositions de loi "pour accroître les droits des femmes et améliorer leur vie" (comme le remboursement de l'IVG). Mais aucune de ces propositions ne fut discutée... Elle voulait également faire une Europe plus égalitaire en prenant les meilleures lois féministes de chaque pays afin de les faire adopter par tous les autres. Mais le monde politique, majoritairement masculin, s'est toujours évertué à la boycotter (Gisèle Halimi a d'ailleurs été à l'initiative de la parité dans les partis politiques). Elle a néanmoins beaucoup œuvré avec son association "Choisir" (sa "sororité").

On ne peut qu'être impressionné·e par cette travailleuse infatigable, cette femme de convictions (elle s'est battue pour toutes les formes d'injustice, sociales, sexistes mais aussi contre le racisme et l'homophobie) qui a dû faire face à bien des obstacles, des humiliations, des insultes et même des agressions et des menaces de mort. Elle a accompli des prouesses professionnelles tout en jonglant avec sa vie personnelle (elle a eu trois enfants, que des garçons... Elle n'aura pas relevé "le défi d'élever une fille dans un monde régi et pensé par les hommes").

L'ouvrage se termine par un très beau texte encourageant les femmes à agir contre l'oppression. Selon l'avocate, trop de femmes se résignent "pour éviter la blessure, sauver l'honneur, sauver leur peau, quitte à entretenir et reproduire le système"... Etre indépendante économiquement, refuser la maternité si l'on n'en a pas envie, penser à soi et à ce qui nous plaît: voilà ses ultimes injonctions pour une société plus égalitaire et épanouissante. Gisèle Halimi est un véritable moteur pour les autres femmes, elle nous donne de la force!

Patricia Deschamps, mai 2023

Gisèle Halimi : Une jeunesse tunisienne

BD de Danièle MASSE (texte) et Sylvain DORANGE (dessin)

Ceux qui vivent sont ceux qui luttent.

Mon avis : J'avais à peine terminé l'autobiographie de Gisèle Halimi, Une farouche liberté, que je suis tombée sur cette bande dessinée à la médiathèque. Je me suis dit qu'elle viendrait approfondir tous les éléments qui, au cours de l'enfance et de l'adolescence de l'avocate féministe, ont provoqué sa vocation.

Peut-être ai-je trop enchaîné les lectures, la première étant encore fraîche dans ma mémoire. Les couleurs sont lumineuses et les planches agréables à lire, cependant j'ai trouvé que le scénario mettait trop l'accent sur le contexte politique du pays (et le pipi au lit qui dura étonnamment longtemps) et je n'ai pas tout de suite reconnu les propos tenus par Gisèle dans son propre livre.

Ce qui est flagrant, c'est la méchanceté de la mère et sa volonté de maintenir ses filles dans l'esclavage patriarcal qu'elle a toujours connu. J'ai aimé retrouver la fameuse scène où la fillette refuse catégoriquement de servir à table sous prétexte qu'elle est une fille ("On n'est pas les bonnes")! Toute petite, elle trouve déjà injuste l'inégalité de traitement avec son frère, d'autant que c'est un mécréant alors qu'elle est toujours première à l'école. Son éclat de rire lorsqu'elle entend son père dire que son unique fils est sensé "sauver l'honneur de la famille" est communicatif!

D'abord excédé de n'avoir que des filles (et perdu un garçon), celui-ci finit par se montrer plus attentif à cette gamine curieuse et déterminée qui pose tant de questions sur le monde qui l'entoure. C'est au lycée que Gisèle commence à s'intéresser à la politique: elle défend les Arabes qui, selon elle, doivent avoir les mêmes droits en Tunisie que les Français. Le pays est alors secoué par des manifestations pour l'indépendance. Quand Mussolini déclare la guerre à la France en 1940, Gisèle lutte à sa façon en créant l'Union des jeunes filles de Tunisie rassemblant des adolescentes de toutes cultures.

Le père de Gisèle est tolérant, mais quand sa fille annonce sa volonté d'être avocate, il ne peut s'empêcher de dire que "ce n'est pas un métier pour les filles". Qu'à cela ne tienne, la jeune femme veut "être libre et libérer toutes les filles de cette vie de soumission" et après la guerre, elle harcèlera l'administration tous les jours jusqu'à ce qu'elle obtienne l'autorisation d'aller faire des études de droit à Paris: "Ne pas me résigner... Jamais".

La partie graphique s'arrête ici mais la biographie se poursuit ensuite en texte.

Patricia Deschamps, juin 2023