- Joyeux Noël, ma croquette, même avec un bras en moins, la vie est belle !
Depuis l'accident de voiture qui lui a coûté son bras droit, Abigail se terre chez elle. Elle ne voit plus personne. Son corps mutilé bouleverse son quotidien, sa vie d'avant lui est insupportable. Comment se définir quand on a perdu ses repères, qu'on ne sait plus qui on est, que la douleur est toujours embusquée, prête à exploser ? Grâce à l'amour des siens. Grâce aux livres. Grâce à la nature, au rire, aux oiseaux. Avec beaucoup de patience, peu à peu, Abi va réapprendre à vivre.
Mon avis :
Un roman touchant sur la reconstruction de soi.
Parce qu'elle ne veut susciter ni le dégoût ni la pitié des gens avec son moignon "qui rime avec rognon", Aby la "manchote" se terre chez elle depuis des mois que l'accident a eu lieu. Malgré la présence et les attentions de sa mère dévouée, Elsa, qui a aménagé ses heures de travail pour lui consacrer un maximum de temps, son père Martin le boute-en-train dont "la joie de vivre est une force terrible" (même si une fois seul "il a envie de chialer") et sa tante Coline qui est "un sacré numéro", modèle de femme forte et indépendante, la vie d'Aby est devenue un "cauchemar". La douleur l'obligeant à ingurgiter des médicaments "qui lui endorment le cerveau", la honte de s'exhiber avec ou sans prothèse ("sa féminité écorchée est une monstruosité"), la colère envers cette femme qui téléphonait au volant et lui a arraché le bras en deux malheureuses secondes, les études de véto abandonnées, la peur de l'avenir ("De quoi j'ai envie? Tout était si clair avant"): tout se bouscule en elle.
Pour sa sœur Millie, la situation n'est pas simple non plus, même si elle n'est pas comparable: "Tout tourne autour de toi, tu me pourris la vie". Ses parents oscillent aussi entre compassion et bousculade afin que leur aînée se ressaisisse: "J'ai confiance en Abi. En sa capacité à se battre, à renaître". Mais c'est grâce à la patience et la tendresse d'Aurèle que, petit à petit, Aby gagnera en confiance et sortira de son antre.
Avec Aurèle, Aby découvre l'écrivain Blaise Cendrars, amputé pendant la Grande Guerre, traumatisme qu'il raconte dans son autobiographie La main coupée. En se plongeant dans l'histoire des "gueules cassées", la jeune femme réalise que "d'autres aussi, en chient ou en ont chié" ("ça fait du bien de savoir que je ne suis pas seule"). Aurèle lui fait également partager sa passion pour l'ornithologie, l'emmène dans des parcs, à la montagne, pour observer les oiseaux, un retour à la nature qui fait du bien à Aby, l'apaise.
On la suit ainsi au fil des pages mêlant narration, extraits de journal intime et (douloureux) souvenirs. Aby est extrêmement attachante, on souffre avec elle, on espère avec elle, immergé dans son ressenti, son combat quotidien contre le découragement et le désespoir, partageant ses infimes progrès. J'ai adoré le passage où mère et fille hurlent sur le conducteur qui klaxonne stupidement, et aussi celui où Aby se demande "ce qu'ils en avaient fait, de mon bras". J'ai guetté et savouré chaque moment en compagnie d'Aurèle. Jusqu'à ce que, enfin, Aby recommence "à remplir sa vie, la vivre", grappillant toujours plus d'autonomie et d'assurance, entourée de l'amour des siens. Jusqu'à ce, enfin, elle trouve le courage de reprendre le contrôle de sa vie.
Patricia Deschamps, octobre 2019
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