Il y a des moments où il suffit de peu de chose pour que la vie continue ou qu'elle s'arrête.
A Paris en 1941.
Les parents de Joseph, 10 ans, tiennent un salon de coiffure rue de Clignancourt. Depuis quelque temps, un petit avis est placardé sur la devanture: "Entreprise juive". Et maintenant, c'est une étoile jaune que les enfants doivent porter au revers de leur veste. Un estampillage qui leur vaut d'être malmenés à l'école... Et puis il y a les soldats S.S., de plus en plus envahissants!
Alors, le père de Joseph prend une décision : le soir-même, le petit garçon prendra le train avec Maurice, son frère qui a 12 ans, afin de rallier la zone libre où sont déjà réfugiés les deux aînés. Mais pour cela, il faut réussir à passer les contrôles nazis, sans les papiers requis...
Mon avis :
A l'occasion de son adaptation en film par Christian Duguay, j'ai eu envie de relire ce roman découvert lorsque j'étais au collège. Et le plaisir est resté intact !
Avec son écriture fluide et son récit rythmé, Joseph Joffo fait littéralement renaître sous nos yeux cette période à la fois tragique et pleine de vie de son enfance. En quelques mots, il campe un décor, dresse un portrait, et nous voilà aux côtés des deux enfants à travers leur périple somme toute joyeux sous le soleil du sud. Car, dans un premier temps du moins, Joseph et Maurice arrivent "à ne plus croire à la réalité de cette guerre". Ils vont de rencontre en rencontre, ont "le plaisir de se débrouiller, enfants, dans un monde d'adultes". Et ils sont dégourdis, ces deux-là ! Ce sont même les rois de la combine ! De Dax à Marseille, de Menton à Nice, de Montluçon à Aix-les-Bains, on admire leur aplomb et leur ténacité à survivre. L'auteur nous livre une belle galerie de portraits, malheureusement éphémères ("J'allais écrire : "je ne la revis jamais", mais je m'aperçois que cela fait de nombreuses fois que j'emploie cette formule. Hélas ! Elle convient une fois de plus."). Autant d'âmes généreuses auprès de qui "nous apprenions plus de choses sur la vie que sur le banc d'une école" et grâce à qui ils seront mille fois sauvés, parfois in extremis.
Cependant la menace nazie reste présente, devient même de plus en plus pressante, et il faut fuir encore et encore, la musette en bandoulière : "le courage, c'est de laisser son orgueil de côté et de foutre le camp". A la curiosité et la découverte se substitue la peur d'être arrêtés, séparés, déportés, comme tant d'autres. Pour le père, c'est un pogrom de plus, "le plus important que l'histoire ait jamais connu". On tremble avec eux, avec la même "sensation d'impuissance à comprendre" cet acharnement contre les Juifs. La souffrance s'installe ("Elle va finir bientôt, la guerre ?") et avec elle le sentiment d'une innocence trop vite perdue : "Ils ne m'ont pas pris ma vie, ils ont peut-être fait pire, ils me volent mon enfance, ils ont tué en moi l'enfant que je pouvais être..."
Même si l'on en connaît l'issue, le récit tient en haleine jusqu'au bout, avec cette facilité des mots et des sentiments simples mais tellement justes. A lire et relire !
Patricia Deschamps, février 2017