Le dernier cri, c'est maintenant d'annoncer les crimes qu'on va commettre.
"Un meurtre est annoncé, qui aura lieu le vendredi 29 octobre à six heures trente de l'après-midi à Little Paddocks..."
Au village de Chipping Cleghorn, tout le monde en prenant son breakfast découvre avec stupeur cette petite annonce dans la gazette locale. Tout le monde pense à une amusante murder party imaginée par quelque facétieux.
Aussi, tout le voisinage, émoustillé, rapplique-t-il à Little Paddocks, la maison de Miss Blacklock, et l'on attend l'heure fatidique dans la bonne humeur. A six heures trente, la lumière s'éteint, l'assassin paraît, des coups de feu éclatent... Mais c'est l'étranger, entré on ne sait comment dans la maison, qu'on retrouve, son revolver à la main, effondré sur le parquet. Mort...
Mon avis :
C'est un numéro hors-série du magazine Lire qui m'a donné envie de me replonger dans ce roman: publié en 1950, il est à l'origine de l'essor des murder party, ces jeux de salon consistant à mener une enquête policière en incarnant les protagonistes de l'histoire (et des escape game qui fleurissent de nos jours).
Me prenant au jeu, j'ai d'abord listé les personnages présents lors de cette murder party qui se solde par un authentique meurtre. Ils sont relativement nombreux (14) et j'ai ressenti le besoin de fixer l'identité de chacun et les relations entre eux.
Il y a plusieurs éléments qui m'ont marquée dans cette enquête menée par l'inspecteur Craddock. Tout d'abord on ne sait pas si l'intrus s'est suicidé ou s'il a été tué. A l'ère des autopsies, études balistiques et autres analyses d'empreintes, cela semble incroyable! D'autre part, les protagonistes dévoilent des versions différentes de l'attaque en fonction de leur sensibilité, de leur personnalité, de leur vécu. A qui se fier? Enfin, il y a en arrière plan un contexte socio-historique plus fort que dans les romans plus connus de l'auteure. Nous sommes dans l'après-guerre et de nombreuses allusions sont faites au quotidien, difficile, encore basé sur le troc de nourriture et sur le marché noir. Enfin, à travers le personnage de Mitzi est évoquée la situation des réfugiés (d'Europe centrale): "Les malheureux réfugiés, vous les méprisez! Elle, vous la croirez, c'est une Anglaise, elle ne ment pas!". Pour beaucoup, Mitzi représente en effet une coupable idéale.
Puis entre en scène "la seule, l'unique, l'inimitable" Miss Marple. Dans ce mystère où la victime (présumée), Miss Blacklock, a une soixantaine d'années, la "vieille toquée" est "la plus apte à comprendre cette génération". Et de manière générale, elle possède "une certaine connaissance de la nature humaine" qui aide à cerner la psychologie des suspects.
Certes Miss Marple est perspicace et la reine du crime multiplie les pistes plausibles pour mieux nous embrouiller. Même si les soupçons du lecteur convergent vers une personne (on finit par avoir l'habitude des procédés d'Agatha Christie), les nombreux rebondissements et révélations empêchent d'y voir plus clair (notamment concernant le mobile).
Cependant on a un peu l'impression d'être mené en bateau par l'écrivain qui use également de subterfuges un peu faciles. C'est par un heureux hasard, "un extraordinaire coup de chance", que Miss Marple découvre l'incident avec la lampe du salon et Craddock le huilage récent de la porte condamnée. De même l'un des témoins est tué au moment propice où il allait dévoiler sa découverte. Quant à la façon dont est finalement résolue l'enquête, si elle révèle le côté malicieux insoupçonné de la vieille dame ("J'ai toujours été forte pour imiter la voix des gens"), elle semble un peu abracadabrante.
Bref ce roman d'Agatha Christie n'est pas parmi mes préférés, mais c'est toujours un plaisir de se plonger dans son univers. Et surtout, il ne faut pas croire tout ce qu'on lit dans les journaux!
Patricia Deschamps, décembre 2020