Gustave Flaubert naît à Rouen en 1821 dans une famille bourgeoise catholique ; jeune collégien, il se moque déjà de ce milieu social. Reçu bachelier en 1840, il s'inscrit à la faculté de droit. Il rencontre celui qui deviendra l'un de ses meilleurs amis, Maxime Du Camp. Une première crise nerveuse l'oblige à arrêter ses études et il se retire à Croisset, près de Rouen, dans la maison qu'il occupera toute sa vie.
En 1848, il assiste à la révolution qui chasse Louis-Philippe Ier du trône ; il y fera référence dans son roman L'Education sentimentale. Après des voyages et une vie qui s'organise entre Croisset et Paris, il publie, en 1857, Madame Bovary qui fera l'objet d'un procès pour outrage à la religion et aux bonnes mœurs. Mais contrairement à Baudelaire pour Les Fleurs du mal, il ne sera pas condamné.
En 1862 il publie Salammbô et fréquente les dîners Magny où il se lie d'amitié avec les frères Goncourt, Sainte-Beuve, Théophile Gautier et George Sand. La deuxième version de L'Education sentimentale paraît en 1869 et connaît un échec retentissant.
Les années suivantes seront marquées par le traumatisme de l'occupation prussienne, les décès de sa mère et de sa sœur, la vente de son appartement parisien en raison de soucis financiers. Il écrit toutefois, pendant cette période, le recueil Trois Contes (dans lequel figure Un cœur simple), qui sera bien accueilli. Bouvard et Pécuchet restera inachevé, Flaubert mourant brusquement en 1880 parmi ses manuscrits...
Source : François Tacot in Un cœur simple, Magnard 2012 (Classiques & Patrimoine)
Pont-l'Evêque, en Normandie, début du XIXe s.
Félicité, jeune femme simple d'esprit mais au grand cœur, travaille comme servante pour Mme Aubain : elle s'occupe avec dévouement de la maison et des enfants, Paul et Virginie.
Travailleuse, modeste et généreuse, Félicité se fait bien souvent exploiter par les autres... Mais
elle est heureuse de rendre service, et elle ne tarde pas à s'attacher à la petite Virginie comme à
sa propre fille.
Sauf que Mme Aubain décide d'envoyer celle-ci dans un couvent afin de parfaire son éducation. Pour Félicité, c'est un déchirement...
Mon avis :
Une nouvelle réaliste dans laquelle Flaubert dépeint la vie de province au XIXe siècle à travers le personnage d'une simple servante.
Dès le début du récit, le cadre et l'héroïne sont posés : une fille humble dans une famille bourgeoise. L'auteur se veut le plus précis possible dans la description de ce milieu, et si l'on passe volontiers quelques descriptions un peu longues des lieux, on savoure la peinture teintée d'ironie qu'il fait des notables normands. Mme Aubain, pour qui Félicité travaillera toute sa vie, est une femme froide et distante qui ne manifestera son affection envers sa bonne qu'une seule fois, à l'occasion d'un terrible événement. Si la maison est grande et richement meublée, la pauvre Félicité doit se contenter d'une pièce exiguë et monacale équipée des vieilleries dont s'est débarrassée sa patronne. De même, les visiteurs qui défilent dans cette maison de province (marquis ruiné, ancien avoué, apothicaire...) contribuent à donner une image bien méprisante des bourgeois. Le passage le plus truculent est sans conteste celui avec Loulou le perroquet, que Félicité a adopté : on y voit ces messieurs-dames se moquer ouvertement de l'animal, voire afficher un comportement méchant envers lui, même si celui-ci le leur rend bien.
Mais ce qui touche le plus dans ce "conte" (tel que le désigne Flaubert), c'est sa sensibilité romantique : à travers ce personnage de pauvre fille de campagne frappée par l'abandon et l'échec, l'auteur nous présente une vision bien désenchantée de l'existence... Car dès le départ, Félicité joue de malchance : ses parents meurent alors qu'elle est toute jeune, le fermier qui la recueille la bat puis la chasse "pour un vol qu'elle n'a pas commis", elle connaît une brève histoire d'amour avortée... et termine donc au service d'une femme qui l'exploite. Mme Aubain n'est pas la seule, d'ailleurs : Félicité se verra tour à tour embobinée par sa sœur, son neveu, et les gens du village qui trouvent sa gentillesse bien utile. Car elle a grand cœur, Félicité ! Elle aime les autres avec sincérité, ne tire aucun orgueil à rendre service. Malheureusement tous les gens auxquels elle s'attache décèdent un par un... Elle aura vécu dans la solitude, moquée pour son manque d'éducation et sa candeur, mal-aimée alors qu'elle s'inquiète tant pour les autres. Pas étonnant qu'elle s'attache autant à son perroquet ! Il l'accompagnera dans ses vieux jours, "presque comme un fils, un amoureux". C'en est pathétique, au final...
"Félicité", un prénom bien ironique, M. Flaubert !
Patricia Deschamps, novembre 2015