Tous leurs mots sont dérisoires face à cette vie qui bouillonne en moi.
Ueno Park, immense étendue de verdure en plein cœur de Tokyo. On y découvre Ayumi, une hikikomori, qui sort pour la première fois de chez elle après plus de deux ans de réclusion. Haruto, un jeune lycéen qui tente de reconstruire sa vie après l'expérience traumatisante du tsunami de 2011 ; Nozomu, un adolescent SDF qui a dû abandonner le domicile familial. Sora, qui affiche son look extrême et asexué de genderless kei et doit résister aux insultes ; Airi, fan obsessionnelle, qui s’égare dans son fantasme avec son idole.
Ces adolescents ne se connaissent pas mais ont en commun de ne pas se conformer, de rejeter les codes traditionnels de la société japonaise et d’affirmer un style de vie, un furieux désir de liberté. A Ueno Park, ils vont se trouver réunis pour Hanami, le spectacle de l’éclosion des cerisiers.
Mon avis :
Huit nouvelles, huit adolescents, huit tranches de vie entre tristesse et poésie.
Une "petite fille parfaite" qui ne supporte plus la pression scolaire exercée par ses parents et s'enferme deux ans dans sa chambre, un jeune garçon refusant "ce quotidien qui projette nos âmes à mille à l'heure" préférant se contenter de vendre des pancakes, un adolescent pour qui "suivre les traces de son père" décédé est une "cage" plutôt qu'un hommage... Tous les héros de ces histoires sont des êtres en souffrance. La petite leucémique en fin de vie est la plus émouvante, cependant le personnage qui m'a le plus touchée est Sora le transgenre qui, lorsqu'il s'affiche en fille, a bien du courage "pour exister à l'envers des autres et porter ses différences". Si Aïri, qui se scarifie par amour pour un chanteur, m'a semblé un peu dérangée, j'ai été boulversée par Nozomu qui a décidé de partir vivre dans la rue pour soulager sa mère débordée ("j'étais un poids pour elle").
Tous ces jeunes se retrouvent à Ueno Park pour le grand événement qu'est Hanami, l'éclosion des cerisiers, parce qu'ils se trouvent à un tournant de leur vie. L'arrivée du printemps symbolise le renouveau, que ce soit un retour effectif "parmi les vivants" pour Ayumi la hikikomori qui sort de chez elle pour la première fois, ou de manière figurée, l'expression d'une prise de décision comme pour Sora considérant que "il suffirait de si peu pour que chacun ait sa place". Ces fleurs qui s'épanouissent représentent également le caractère éphémère de toute chose: "ces moments passés ensemble", il faut soit les savourer, soit les oublier, selon qu'ils sont agréables ou pas. Le mot "espoir" revient d'ailleurs dans plusieurs récits, montrant bien que rien n'est jamais figé et qu'il ne tient qu'à soi de changer la situation.
Le livre n'apprend pas sur le Japon autant que je l'aurai pensé. Si les spécialités culinaires sont souvent évoquées, le mode de vie japonais est peu mentionné. L'auteur insiste surtout sur les exigences du monde professionnel qui conduit au surmenage et qui détériore la qualité de vie, que l'on soit un costume-cravate ou que l'on appartienne au "Tokyo des petites gens et de la débrouille". Natsuki, pour qui il est difficile "d'être une femme dans un monde d'hommes", dénonce l'hypocrisie de ces hommes d'affaire venant pleurer le soir dans les bras de "Enjo kosai" (sorte d'escort girl lycéenne...) comme elle (ce qui est bien malsain!). Au bout du compte tous ces personnages auraient tout aussi bien pu habiter n'importe quel pays : ce qu'ils ressentent relève de l'universel.
Ainsi le recueil met en scène des adolescents qui se cherchent, à un moment crucial de leur vie où ils réalisent que "ce qui guide nos pas n'est jamais tout à fait un hasard. Ces chemins que l'on prend, ces routes sur lesquelles la vie nous entraîne ne mènent qu'à nous." Et c'est déjà beaucoup.
Patricia Deschamps, avril 2019
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