Si je dois te trahir

roman de Ruta SEPETYS

En Roumanie, nous faisions ce qu'on nous imposait.

Et on nous imposait beaucoup de choses.

Gallimard jeunesse, 2023, 375 p.
Gallimard jeunesse, 2023, 375 p.

 

Roumanie, 1989. Les régimes communistes s'effondrent à travers l'Europe. Au milieu de la dictature tyrannique de Nicolae Ceausescu dans un pays gouverné par l'isolement et la peur, Cristian est soumis au chantage de la police secrète pour devenir un informateur. Il ne lui reste que deux choix : trahir tout le monde et tout ce qu'il aime, ou utiliser sa position pour dénoncer le régime du dictateur le plus manipulateur d'Europe de l'Est.

Mon avis :

La Roumanie de Ceausescu... J'avais une correspondante de là-bas, à l'époque (fin des années 80, j'étais au collège). L'époque où l'on s'écrivait encore des lettres, que l'on attendait avec impatience (vu la distance...). Elle parlait très bien le français, ma correspondante, elle s'appliquait de sa belle écriture stylisée. Elle était fascinée par la France (comme je la comprends, maintenant!). J'avais vaguement entendu parler du dirigeant roumain, mais quand je la questionnais pour en savoir plus, elle restait évasive. Maintenant je sais pourquoi.

 

La Roumanie de Ceausescu, c'est aussi Nadia Comaneci, dont j'ai découvert l'histoire à travers le roman de Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais (il est d'ailleurs fait allusion à la gymnaste qui "s'est enfuie" aux Etats-Unis). C'est parce que j'ai récemment vu un spectacle mettant en scène ce livre que je me suis souvenu de celui de Ruta Sepetys qui attendait depuis un an dans ma PAL (comme quoi, il y a un moment pour chaque lecture).

 

En 1989, Nicolae Ceausescu dirige le pays depuis 24 ans déjà (!), secondé par la Securitate, "la terrible police secrète roumaine". La Roumanie de Ceausescu, c'est le communisme ET une dictature. Autrement dit une idéologie politique que s'est accaparé un seul homme (et son épouse, les deux semblent indissociables): "Le Parti communiste avait le droit de tout voir, tout le temps. Tout appartenait au Parti. Et le Parti appartenait aux Ceausescu".

 

Pendant les premiers chapitres, on découvre le terrible quotidien du peuple roumain ("Il y avait tant de règles") à travers le héros, Cristian Florescu, lycéen de 17 ans ("Tant de choses étaient illégales en Roumanie, y compris mes pensées"). Cristian vit dans la plus grande pauvreté, dans un minuscule "appartement communiste identique à tous les autres" qu'il partage avec ses parents, sa sœur aînée et son grand-père malade. Les tickets de rationnement sont toujours en vigueur ("Nous avions plus à manger pendant la Seconde Guerre mondiale!").

 

Boire un coca, regarder une cassette vidéo : tout est interdit, surtout si cela provient de l'étranger. "Aucun choix, aucune possibilité, aucune option": ce que fait "Draculescu", "plus stalinien que Staline", relève de la violation des droits de l'homme. A la propagande s'ajoute une surveillance constante et oppressante, y compris dans les foyers, équipés de micros ("Dans un pays où la liberté d'expression n'existait pas, chaque blague faisait l'effet d'une petite révolte").

 

C'est d'ailleurs pour espionner une famille d'Américains que Cristian est recruté malgré lui comme informateur. En échange d'informations sur les Van Dorn (le père est diplomate), il recevra (soi-disant) des médicaments pour soigner Bunu. A voir comment vit (très bien) cette famille, le jeune homme se demande: "Les gens dans le monde savent-ils ce qui se passe en Roumanie?". Le dossier photos en fin d'ouvrage marque bien le contraste entre l'image renvoyée par les Ceausescu et la réalité du peuple.

 

Cristian vit très mal son rôle de "traître" ("nom de code: OSCAR"), d'autant que son grand-père est un dissident l'ayant toujours encouragé à ne pas se laisser faire. Il va essayer de jouer double jeu mais de nombreuses surprises l'attendent... Personne n'est vraiment qui il semble être... A part peut-être Liliana dont il est secrètement amoureux.

 

Et puis un jour, enfin, la radio clandestine annonce des nouvelles pleines d'espoir: "Le mur de Berlin est en train de tomber!". La Pologne, la Hongrie et la RDA sont en train de reprendre leur liberté, bientôt suivies par la Tchécoslovaquie et la Bulgarie. Et les Roumains? Ils sont enfin "prêts pour la révolution"! Cela se fera dans le sang et la douleur ("J'étais une loque. Tout le pays était en loques."), mais "c'était arrivé", "nous étions libres". Un avenir plus heureux s'ouvrira alors, même si les traumatismes du passé seront très longs à "laisser derrière moi".

 

Patricia Deschamps, avril 2024


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