- C'est compliqué.
- La vie ?
- Les gens.
Quand on s'appelle Sauveur, comment ne pas se sentir prédisposé à sauver le monde entier ?
Sauveur Saint-Yves voudrait tirer d'affaire Margaux Carré, 14 ans, qui se taillade les bras, Ella Kuypens, 12 ans, qui s'évanouit de frayeur devant sa prof de latin, Cyrille Courtois, 9 ans, qui fait encore pipi au lit, Gabin Poupard, 16 ans, qui joue toute la nuit à World of Warcraft et ne va plus en cours le matin, les trois sœurs Augagneur dont la maman vient de se remettre en ménage avec une jeune femme...
Sauveur Saint-Yves est psychologue clinicien. Mais à toujours s'occuper des problèmes des autres, Sauveur a oublié le sien. Ne devrait-il pas protéger ce petit garçon, Lazare, 8 ans, qui est son fils, menacé par un secret de famille ?
Mon avis :
Marie-Aude Murail est un auteur que je ne me lasse pas de lire malgré les années. Une fois de plus, son roman est une magnifique galerie de portraits, ancrés dans la société actuelle, qui sonnent très juste.
Dépressifs, hyperactifs, phobiques, scarificatrices, paranoïaques : la clientèle de Sauveur est très hétéroclite. La plupart des patients sont des enfants/adolescents instables voire traumatisés, essentiellement parce qu'ils subissent les conséquences de parents (divorcés, ou pas) qui se déchirent ou qui font peser sur leur progéniture le poids de leur propre psychose (inconsciente). Sauveur reçoit d'ailleurs souvent les proches du patient afin de trouver (ou tout au moins tenter de trouver) une issue à la situation. Car il est très investi dans son rôle, allant jusqu'à intervenir en dehors des heures de consultation. Malgré tout, il a parfois l'impression d'être "un psy de merde". Il faut dire que certains sont de très mauvaise foi, incapables de se remettre en question : "chacun s'était empêtré dans des non-dits, des secrets ou des cachotteries"... "Je trouve qu'ils ne règlent rien, les adultes !"... "Il faut aussi que la personne ait vraiment envie d'avancer".
On pourrait penser que ce livre est déprimant, il n'en est rien ! Si l'auteur dépeint avec beaucoup de pertinence les maux de notre société, elle le fait avec une pointe d'humour et des dialogues percutants qui accrochent d'emblée : "- Il est vraiment con ce hamster ou il fait ça pour se rendre intéressant ? - C'est la question que je me pose assez souvent à propos de mes patients". Sauveur se trouve d'ailleurs beaucoup de points communs avec le petit rongeur (mascotte du cabinet), ce qui donne lieu à des scènes très drôles ! D'autre part, le psy est un homme humble qui a beaucoup de recul par rapport à sa profession ("quel métier incertain que le mien"), il est conscient des limites de la thérapie ("En quelques secondes, trois vies dévastées. C'était ça, la psychothérapie ?") et sait combien l'équilibre obtenu peut être fragile. Il sait aussi "qu'on ne sauve pas les gens d'eux-mêmes. On peut les aimer, les accompagner, les encourager, les soutenir. Mais chacun se sauve soi-même, s'il le veut, s'il le peut. Tu peux aider les autres mais tu n'es pas tout-puissant". Enfin c'est un homme sensible, qui sait apprendre de ses patients : "Les gens n'en finissaient pas de le surprendre, et c'était bien ainsi".
Et puis comme souvent chez Marie-Aude Murail, le suspense pointe en filigrane. Sauveur est d'origine martiniquaise et un mystérieux personnage de son passé dans l'île lui en veut, semant chez lui des menaces issues du folklore vaudou (boîte cercueil, poule noire...). Qui est-il et que veut-il ? Si Sauveur soulève les secrets de famille de ses patients, il en cache lui aussi un à son propre fils : "Papa ne m'en parle jamais", regrette le petit Lazare qui surprend bien des faits et propos suspects qu'il aimerait se voir expliqués. Cette relation père/fils est bien sûr au cœur de l'histoire, et le petit garçon est très touchant dans son besoin de comprendre d'où il vient. Son père finira par se livrer par bribes ("Pour une fois, c'est lui qui se confierait"), faisant preuve une fois de plus de sa capacité d'empathie et surtout du besoin de partager ses émotions avec son fils.
Au final les pages auront défilé sans qu'on les voit passer, happé par ces portraits subtils, cette fluidité des scènes qui fait qu'on n'a jamais vraiment envie d'arrêter la lecture, touché par ce psy au grand cœur et son fiston désarmant, tenu par ce suspense d'arrière-plan, amusé par cet humour mordant à qui je donnerai d'ailleurs le mot de la fin : "Ouvre ta porte, ferme ta gueule" et vice-versa !
Patricia Deschamps, novembre 2016
La vie ne se déroulant jamais comme prévu, tout l'art de l'homme est de s'adapter.
Sauveur Saint-Yves est psychologue clinicien à Orléans. Parmi les patients que nous retrouvons entre autres dans cette deuxième saison, il y a : Ella l'apprentie romancière de 12 ans harcelée parce qu'elle préférerait être un garçon et s'appeler Elliot; Gabin, 16 ans, à la mère schizophrène, qui est devenu l'ami de son fils Lazare et squatte le grenier ; deux nouvelles : Pénélope la jeune maman mytho et Mme Germain la Martiniquaise qui craint les envoûtements et les microbes.
Mais Sauveur a aussi une VP (vie privée). Il a fait la connaissance de Louise et aimerait constituer avec elle une grande famille recomposée. Mais si le fils de Louise, Paul, est le camarade de classe de Lazare, sa fille de 13 ans, Alice, refuse de passer ne serait-ce qu'un week-end chez le nouveau compagnon de sa mère...
Mon avis :
Une saison 2 aussi captivante que la première ! On ne se lasse pas de ces "échantillons d'humanité" qui défilent dans le bureau et la maison de Sauveur ! Les portraits de Marie-Aude Murail sont si justes, si réalistes, si représentatifs de notre société qu'on hésite entre rire et pleurer. Homosexualité, problème identitaire, harcèlement, relations familiales explosives, absence du père, angoisses adolescentes, impact des réseaux sociaux : toutes les préoccupations actuelles sont évoquées dans le bureau de Sauveur avec qui "on parle de ce qu'on veut. Autrement, ça s'appelle un interrogatoire de police... ou une conversation avec sa mère". Car "ce toubib psychologue vous entrait dans la tête comme un couteau dans le beurre" ! La petite Raya, réfugiée irakienne, est particulièrement émouvante, traumatisée par les scènes horribles dont elle a été témoin dans son pays.
Heureusement le roman ne manque pas d'humour ! Si l'attitude de certains personnages est très drôle, certaines répliques savent aussi être savoureuses ("Pourquoi devez-vous faire semblant d'être heureuse ? - Mais pour Facebook !"). Et puis Sauveur a malgré lui une botte secrète : la "hamstérothérapie" ! Mme Gustavia tient une place de choix dans son cabinet et les petits Bidule et Sauvé constituent des personnages à part entière avec leur personnalité propre ! Quant au petit nouveau, Sergent, il est déclaré "premier hamster transgenre" du pays !
Il en résulte un récit plein de vie, où les caractères s'enchaînent et se croisent, un récit si fluide qu'il en est difficile à lâcher et qu'on le termine avec regret. Vite, la suite !
Patricia Deschamps, avril 2017
Je ne fais pas ce que je veux, je fais du mieux que je peux.
Une petite maison, à Orléans.
En tant que psychologue clinicien, Sauveur Saint-Yves reçoit ses patients habituels, mais aussi des nouveaux comme ce monsieur Kermartin qui pense que ses voisins du dessus ont installé une caméra de vidéosurveillance dans le plafond de sa chambre; Maïlys, 4 ans, qui se tape la tête contre les murs pour attirer l'attention de ses parents; ou encore André Wiener, le papa pianiste de Samuel, qui doit régler son passé d'enfant martyr pour espérer nouer des liens avec ce fils qu'il a découvert au bout de seize ans.
Mais une simple porte sépare cabinet et vie privée... Et certains patients abusent de la bonne volonté de leur thérapeute, 24h/24, 7j/7 ! Louise, en revanche, se sent quelque peu délaissée...
Mon avis :
La formule est similaire aux précédents tomes et la saga lasse un peu, même si le "carrousel de toutes ces vies" qui défile (côté cabinet comme côté maison) chez cette "espèce de docteur Tant-Mieux" suscite toujours un mélange de sourire, d'émotion et d'exaspération.
Sauveur est bien plus qu'un psychologue : c'est un homme généreux et altruiste qui ne conçoit pas de laisser quelqu'un dans la détresse et qui s'attache souvent à ses patients ("Il avait développé un lien spécial avec la jeune Ella"). Une vocation envahissante dont il paie un peu les frais dans ce troisième tome : "Transfert, contre-transfère, je gère", ou pas ! Le 12 de la rue des Murlins est devenu un vrai squat, entre le "légionnaire ancien gangster", "l'Elfe de la nuit déscolarisé" et maintenant le "pianiste déséquilibré", Louise et ses enfants qui cherchent à conquérir leur place, Sauveur "se sentait plus démuni que dans son cabinet de consultation. Parce que, là, c'était sa vie."...
Pour autant les scènes drôles et les répliques cinglantes sont toujours légion : "Le docteur Anne-Elisabeth Pincé était une personne qui ne prenait le temps de rien. D'ailleurs, elle était constipée." Ou encore: "Croisant les bras, Blandine prit un air de grand intérêt (ou de foutage de gueule)." Côté réflexion sociétale, j'ai beaucoup aimé l'évocation de "l'addiction aux nouvelles technologies", cette plaie qui envahit notre quotidien. Ainsi, la mère de la petite Maïlys ne lâche pas son téléphone (y compris en consultation) tandis que son père semble complètement absent en journée pour avoir passé la nuit sur des jeux en ligne : "Elle a besoin qu'on joue avec elle, pas qu'on la colle devant une tablette", souligne Sauveur. Le psy fait des remarques ultra pertinentes sur l'éducation des enfants (ou son absence), remettant en cause "le système de valeurs qu'on avait fourré dans la tête des parents" : dans la famille Gonzales, il encourage le fils à continuer de bricoler avec son papy (puisque c'est ce qu'il aime et qu'il le fait bien) et la fille à relativiser l'importance des bonnes notes (elle est si stressée qu'elle ne dort plus que sous somnifères). Le téléphone est aussi dans sa ligne de mire : "Une bombe entre les mains des enfants, voilà ce qu'était cet objet."
Mais surtout, sa spécialité est d'aider ses patients à comprendre "qu'il faut se débarrasser de ces vieilles histoires et aussi pardonner à ceux qui les ont blessés, pour vivre libres." Un message que l'auteur fait passer avec beaucoup de "punch" (dans les deux sens du mot, le dynamisme comme le rhum !) et dans une écriture étonnamment fluide et actuelle qui ne peut que ravir son lectorat.
Patricia Deschamps, août 2017
- Tu dois avoir des lunettes spéciales. On voit pas le monde pareil avec toi.
Mon avis (★★★★★) : C'est toujours "le tourbillon de la vie" dans ce tome 4, entre les patients de Sauveur, protagonistes à part entière, les habitués comme les nouveaux, qui déroulent autant de situations sociales et familiales faites de petits soucis ; la "famille machin-truc" hétéroclite dans laquelle le psychologue a parfois l'impression de poursuivre les consultations ; sans oublier la classe de Mme Dumayet où évoluent Lazare et Paul, et son pittoresque "débat du mardi". On passe avec fluidité d'un personnage à l'autre, l'auteur nous entraînant dans le monde de Sauveur avec une douceur enthousiaste, faisant défiler les scènes comme un kaléidoscope coloré. On en redemande !
Patricia Deschamps, mai 2018
Ils veulent tous être aimés, ils veulent tous qu'on les sauve d'eux-mêmes.
Deux années ont passé et pendant ce temps, que sont devenus les patients de Sauveur, Blandine et Margaux Carré, Samuel Cahen, Lionel et sa fille Maïlys, Ella-Elliot, Frédérique Jovanovic ? Et la famille recomposée du psychologue ? Comme à chaque saison, de nouveaux personnages vont faire leur entrée: Louane et ses animaux de soutien émotionnel, Madame Tapin qui, à 81 ans, découvre le féminisme...
(4e de couverture)
Mon avis :
C'est toujours un plaisir de retrouver Sauveur et son petit monde, dialogues et situations s'enchaînent avec fluidité, et certain(e)s ne manquent pas d'humour (j'ai beaucoup aimé sa réputation de "psychologue animalier" véhiculée par le vendeur de Jardiland!..). A la maison comme dans son cabinet ("Sa journée était terminée. Ou elle recommençait."), Sauveur gère les états d'âme des uns et des autres ("Je garde l'esprit ouvert et, surtout, je veux entendre la souffrance des autres") et il y a de quoi faire! Cependant, au bout de cinq saisons, il faut bien reconnaître qu'une certaine lassitude s'installe, la saga commençant à manquer de surprise. Heureusement dans la dernière partie le principal protagoniste évolue, apportant un peu de nouveauté à l'ensemble: "Ton métier, c'est de faire parler les autres, mais toi tu es assez cachottier". Le psychologue, qui jusque là ne manifestait guère d'émotion, se laisse envahir par le doute (il a le sentiment de négliger sa famille notamment Louise), fait des malaises, ressent le besoin de se désinhiber. Un burn-out qui le conduira à un lâcher-prise et une remise en question bénéfiques et c'est un Sauveur en paix avec les autres et surtout avec lui-même que l'on quitte.
Patricia Deschamps, janvier 2020
Une psychothérapie, ça signifie que tu réfléchis sur ce qui se passe dans ta vie,
dans ta tête, dans ton corps.
Qui est cet homme qui veut être reçu à 7 heures du matin au 12, rue des Murlins et qui a l'air de connaître la maison de Sauveur comme s'il y avait déjà vécu ? D'où vient Gilbert le Démon qui persécute la jeune Sarah en lui criant à l'oreille des insanités ? Pourquoi Ghazil Naciri a-t-elle volé une clé dans le sac de sa prof de SVT ? Qu'est-ce que Kimi va faire de ce revolver qui lui est tombé dans les mains ? Et Jovo, mythomane ou psychopathe ?
Mon avis :
Cette saga, on ne la présente plus. Si comme moi vous êtes arrivés au tome 6, c'est que vous appréciez ces tranches de vie aussi hétéroclites que familières! Les personnages sont nombreux, mais l'auteure réussit toujours en un habile tour de passe-passe (Marie-Aude Murail non plus, on ne la présente plus!) à nous restituer l'essentiel. On rit, on s'émeut, on compatit, on traverse mille émotions avec ces petites histoires de relations familiales, sentimentales, amicales où l'incompréhension se mêle à l'amour-propre, où le manque de communication cache des sentiments réels, où l'inquiétude et le stress mènent les gens à pousser la porte du "Sauveur" (dont Jovo usurpe parfois l'identité en début de journée!).
Celui-ci voit patients et famille évoluer, Louise à nouveau enceinte, Paul qui se laisse (mal) influencer par les copains, Lazare qui mûrit et ressemble de plus en plus à son père ("sage, sérieux, sensible"). Les situations ne sont pas toujours drôles mais pas non plus déprimantes car l'on sait qu'à tous les coups le psychologue antillais saura trouver la solution, peu importe le temps et l'énergie que cela lui demandera! Alors on continue d'apprécier les retrouvailles, on les savoure, même, petits instants de réconfort qui font oublier ses propres tracas. Le tome 7, on adhère déjà!
Patricia Deschamps, février 2021
Le Covid 19 avait généré toute une kyrielle de pathologies et il avait aussi allongé la journée de travail des psychologues.
Mon avis (★★★★) : On ne présente plus la série, et si vous avez raté des épisodes, pas de panique, laissez-vous porter par toutes les personnalités qui emplissent la vie de Sauveur, côté pro comme côté perso! Côté jardin, on découvre Léopoldine, 18 mois, la "jeune aventurière aux yeux de diamant noir". Côté rue, Sauveur mesure l'impact du covid sur les gens. J'ai apprécié les séances à la prison avec le groupe de parole sur les violences conjugales, dont Sauveur cherche à "comprendre les mécanismes" y menant.
J'aime toujours autant ces tranches de vie qui tour à tour font écho à la nôtre ou bien nous en divertissent. La fille de Marie-Aude Murail, Constance, à la plume avec sa mère, s'est glissée dans ce monde foisonnant avec beaucoup d'aisance, même si l'on sent parfois une petite nuance de style. L'ensemble est toujours aussi rythmé, c'est un tourbillon de préoccupations et d'espoirs, une farandole d'existences qui nous enveloppe avec bonheur. On prend plaisir à retrouver certains personnages et à en découvrir d'autres, on partage leurs émotions, leurs doutes, certain·es que notre psy préféré saura trouver une solution, ou au moins, un apaisement, tant est grand son investissement affectif pour ses patients. On aimerait tant avoir un Sauveur dans sa vie !
Patricia Deschamps, décembre 2023