Pierre est mort et toi tu es vivant.
Vendredi 13 novembre 2015. B. était à la terrasse du café quand les terroristes ont tiré. Son frère est mort, lui s'en sort indemne.
Il quitte l'hôpital au matin, monte dans le métro. Son regard croise celui d'un passager... Il reconnaît le visage de l'un des tueurs de la veille.
B. décide de le prendre en filature.
Mon avis :
Un roman sur le terrorisme tout en émotions - celles des victimes... et des autres.
B., comme beaucoup d'autres (d'où l'initiale) touchés de près ou de loin par les attentats, est une "victime collatérale". Rescapé d'une fusillade à l'un des cafés parisiens ce soir du 13 novembre 2015, il est traumatisé d'avoir vu mourir son frère Pierre. Cependant ce ne sont pas ces événements maintes fois évoqués qui intéressent l'auteur : c'est l'après, le ressenti du lendemain.
Peur et culpabilité : tels sont les sentiments de B. à l'hôpital. L'attaque les a pris par surprise alors qu'ils fêtaient l'anniversaire de B. avant le départ de Pierre pour l'Angleterre. Et si Pierre était parti plus tôt, plus tard ? Et pourquoi a-t-il été touché alors que l'autre balle n'a fait qu'effleurer B. ? Autant de questions insupportables qui poussent B. à s'enfuir, incapable d'affronter la réalité, encore moins ses parents.
Entracte : Vincent Villeminot nous plonge dans la multitude de points de vue des gens que B. croise sur son chemin. Incrédulité, horreur, et la peur encore et toujours, font écho au bouleversement de B.
Et voilà que celui-ci tombe sur l'un des tueurs, le suit jusqu'à sa planque. Cette fois c'est la révolte, et même la haine, qui grondent en lui. Transfiguré, B. passe à l'acte, il veut se venger, conscient malgré tout de son incapacité à changer les faits... Le récit, construit comme une tragédie en cinq actes, gagne en intensité, en violence, B. expulsant ce nœud de sentiments mêlés en lui dans un profond élan cathartique. Le style, saccadé, percutant, assène les mots et les actes. Et toujours ces entractes polyphoniques, sorte de chœur antique approuvant ou condamnant l'attitude du héros, donnant la parole à tous (y compris le défunt)... sauf au terroriste : "Dans la tête d'Abdelkrim, que se passe-t-il à cet instant ? On ne sait pas. C'est un mystère." Le pire, certainement.
Enfin B. redevient Benjamin, retrouvant son individualité après avoir été noyé dans la masse des victimes, reprenant ses esprits avant d'aller trop loin et de le regretter. Refusant de devenir un monstre à son tour, il médite sur ces circonstances qui nous transforment, sur le poids des convictions qui mènent parfois l'intolérance, sur la fragilité de cette vie si précieuse, qui "reprend déjà", malgré tout, même s'il faudra du temps ("six jours ou six ans, six siècles") pour supporter ce qu'elle nous a fait subir. Reste l'espoir, l'amour aussi peut-être.
Vous m'auriez demandé mon avis sur ce livre quand je l'ai refermé, je n'aurais pas été aussi enthousiaste. C'est en écrivant cette chronique que je me suis rendue compte de sa portée réflexive. Avec le recul, je comprends mieux tout le travail de l'auteur, porté par l'équipe Sarbacane, pour aboutir à ce texte qui a dû lui demander un investissement personnel et émotionnel intenses, et nécessite une maturité suffisante pour l'apprécier.
Patricia Deschamps, juin 2017