Regarde les lumières mon amour

de Annie ERNAUX

Flammarion, 2018, 150 p. (Etonnants classiques)
Flammarion, 2018, 150 p. (Etonnants classiques)

Comme beaucoup, Annie Ernaux se rend dans un hypermarché pour faire ses courses. Pendant une année, elle a noté ses observations sur ce lieu familier, s'efforçant de le regarder d'un œil neuf. Tour à tour amusée et indignée, elle décrypte les stratégies commerciales, s'insurge contre les stéréotypes qu'elle débusque à chaque coin de rayon et décrit le ballet ininterrompu des employés et des clients. Sous sa plume, ce "grand rendez-vous humain" devient plongée au cœur de notre société.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Le concept est original, entre journal consignant des observations et essai/réflexion sur le thème de l'hypermarché. Pendant une année, Annie Ernaux s'est rendue au Auchan du Val-d'Oise à l'intérieur du gigantesque centre commercial des Trois-Couronnes, à des jours et des horaires différents ("La clientèle du soir, plus jeune, plus diverse ethniquement, contraste avec celle du jour"), afin d'analyser en quoi ce lieu de (sur)consommation reflète "la réalité sociale de la France d'aujourd'hui" ("Les hypermarchés ne sont pas réductibles à la "corvée des courses". On pourrait y écrire des récits de vie"). Ceux des classes moyennes et populaires tout au moins.

 

Ainsi, chaque "capture impressionniste des choses et des gens" lui inspire une pensée, un constat. La parapharmacie est comme un "rayon psy" où les gens "tombent en méditation devant les produits pour être et vivre mieux" ("Ce sont les rayons du rêve et du désir, de l'espérance"). La docilité des consommateurs, face aux méthodes commerciales et aux "règles implicites du civisme consommateur" (notamment en caisse), lui semble sans limite: "Les lieux de consommation sont conçus comme ceux du travail, avec pause minimale pour un rendement optimal". Mois du linge de maison, époque de la galette des rois, mais aussi "marketing ethnique" (nouvel an chinois, ramadan...): "C'est la grande distribution qui fait la loi de nos envies". Avec les fausses bonnes affaires ("Le porc à moins d'un euro par personne"), on nous fait croire que chaque produit est à la portée de tous ("dans l'assiette, après cuisson et sans les déchets, correspond sans doute à 80g"...). L'objectif ultime est bien sûr de faire mettre dans le caddie plus que prévu (et que nécessaire): "Dans le monde de l'hypermarché et de l'économie libérale, aimer les enfants, c'est leur acheter le plus de choses possible" (quelle désolation).

 

Et peu importe que ceux qui possèdent Auchan soient aussi propriétaires de Leroy Merlin, Décathlon, Midas, Flunch et Jules (!). Que les usines au Bangladesh ravagées par les incendies achalandent toutes ces enseignes. Que l'hypermarché soit LE lieu de sortie de "tous ceux qui viennent faire un tour - comme autrefois en ville" (quelle désolation, bis). Et si la meilleure des rébellions était d'emprunter la sortie sans achat ("coupable de ne rien avoir acheté")?

Distinguer tous ces mécanismes, la théorie est intéressante. On sentait l'ironie sous-jacente dès le titre. Sauf que l'on connaît déjà tout ça (en tant que classe moyenne...) et que les observations de l'autrice n'apportent pas grand chose de neuf. Restera le souvenir d'une pratique peut-être en voie de disparition, à l'ère du drive et de la commande sur Internet.

 

Patricia Deschamps, septembre 2021


Retrouvez Takalirsa sur Facebook, Babelio, Instagram  Youtube, Twitter et Tik Tok

Making of d'une chronique