On avait fait de l'île déserte le symbole du bonheur ultime, alors qu'en réalité, l'isolement et le manque d'espace vous condamnaient à vivre enfermé à l'intérieur de vous-même, avec vos pensées. Et celles de Mila achoppaient toujours au même endroit: le désir illusoire que tout soit différent.
Cet été-là, Mila retourne pour la première fois depuis six ans sur l'île de Lampedusa où elle passait autrefois les mois de juillet. Si son père se lance dans une "frénésie domestique" afin de rafraîchir la maison si longtemps abandonnée, sa mère n'échappe pas à son "abattement annuel". Car dans l'air flotte le souvenir de Manuele, le petit frère de Mila décédé...
A des milliers de kilomètres de là, en Erythrée, des adolescents africains rêvent de quitter leur pays de répression où toute forme de liberté est proscrite. Mais comment fuir ?
Mon avis :
Deux intrigues indépendantes s'alternent dans ce roman : le deuil de Mila sur l'île de Lampedusa, et le périple d'adolescents erythréens qui s'enfuient illégalement de leur pays.
Le retour de Mila sur le lieu de villégiature de son enfance se déroule dans une atmosphère très mélancolique. Île paradisiaque, Lampedusa offre un cadre magnifique, entre mer, soleil et nature florissante. L'ambiance est à la langueur d'été, mais traîne en arrière-plan un goût de nostalgie des années heureuses : avec la mort de Manuele, plus rien ne sera jamais comme avant. Mila fuit d'ailleurs la compagnie de ses parents, pesante malgré leurs efforts pour chasser le chagrin (Manuele est mort sur cette île, un mois de juillet), préférant arpenter l'île sur son vélo. C'est au cours de ses vagabondages méditatifs qu'elle rencontre Paola, une jeune fille du pays "à la grâce quasi divine" qui lui apprendra à "faire avec l'existant, même avec le pourri, le moche, l'injuste. Même avec la mort, la maladie, la déception. L'absence." Un joli roman initiatique à l'atmosphère tangible, même si le rythme est un peu lent et le récit un peu creux.
Les témoignages des migrants clandestins me laissent un peu plus perplexe. Les deux premiers récits, ceux d'Amir et Saafiya, ont une écriture trop recherchée, presque poétique, qui colle mal avec la teneur des propos. Celui d'Amanuel par contre, offre un style percutant efficace, et les suivants sont plus ou moins dans la même veine. Mais ce qui m'a le plus posé problème en réalité, c'est le manque de précisions concernant le contexte historico-géographique. Les termes de Lampedusa et d'Erythrée n'évoquent pas grand chose, je pense, à un jeune qui aborde ce roman (même si les mobilités humaines font partie du programme d'histoire-géographie 4e). On ne sait pas forcément que l'île se situe entre la Sicile et la Tunisie et qu'un naufrage de clandestins africains a eu lieu au large de ses côtes en 2013. Le souci, c'est que sans ces références, l'élève lambda risque de ne pas comprendre grand chose. Toute la première moitié du roman évoque les atrocités vécues en Erythrée (rafles, contrôles de laissez-passer, service militaire forcé...) sans apporter aucune explication. C'est au lecteur de reconstituer les éléments disséminés sauf que, comme Mila, on ne se fait qu'une "idée très vague". Les éclaircissements viendront de Paola ("L'île est un pont entre l'Afrique et l'Europe") mais un peu tard à mon goût (page 132 !) : le lecteur peu motivé risque de décrocher bien avant.
Car au bout du compte, il s'agit de comprendre quel est le rapprochement entre les deux intrigues : tout comme Mila vient trouver refuge sur Lampedusa afin d'y puiser la sérénité qui l'aidera à surmonter le deuil, les adolescents erythréens concentrent sur cette terre de transit tous leurs rêves d'espoir et de liberté. Même si bien sûr la nature de la souffrance n'est pas du tout la même. Le but de l'auteur est clair : faire entrer "deux mondes en collision". Pour que l'on prenne conscience de certaines réalités toutes proches, pour donner corps aussi à tous ces anonymes traités globalement dans les médias comme "problème social".
Un roman à la thématique intéressante, mais dont la lecture par les adolescents devra être guidée pour être pertinente !
Patricia Deschamps, juillet 2015