On ne peut jamais savoir exactement ce que les autres pensent. On peut juste essayer, nous, de ne pas penser des choses trop sales à leur propos.
Un simple échange de regards, le jour des rattrapages du bac, et tout lui revient en pleine figure.
Elle, c'est la jolie fille populaire, comme il en existe dans tous les lycées. Cette année, elle faisait partie des forts, des puissants, de la meute, et n'hésitait pas avec son groupe à se moquer de tous les moches, les geeks, les nuls en cours.
Lui était l'un de ces « cassos », leur cible favorite avec qui ils sont allés si loin qu'il a fini par craquer...
Les mois ont passé. Le voilà assis, comme elle, à attendre dans le hall. Lui dont elle craint maintenant le regard, rongée par les remords.
(4e de couverture)
Mon avis :
Le monologue d'une "star du lycée" qui revient sans concession sur son année scolaire: rattrapage du bac... et de son attitude ignoble.
"Titre du tableau" : La déchéance d'une reine. C'est avec beaucoup d'ironie et de dureté qu'elle parle d'elle-même ("Je suis une putain de merde humaine"), elle qui, par son physique idéal de "blonde au cul bandant", s'est retrouvée propulsée en haut de l'impitoyable "chaîne alimentaire lycéenne", du côté de ceux qui dominent, usant de leur "pouvoir d'humilier" les pauvres autres. La société est ainsi faite que la beauté excuse tout : "Que je puisse être sale à l'intérieur ne changera rien, c'est quand même à moi qu'on sourira dans la rue, à moi qu'on excusera plus facilement les erreurs, à moi qu'on pensera". Mais était-ce une raison pour s'acharner sur lui ?
Titre du tableau : Camarade d'enfance. Le pire c'est qu'il n'est pas un parfait inconnu: petits, ils étaient voisins et rentraient ensemble de l'école... Comment a-t-elle pu s'acharner sur lui avec la bande? "Tout le monde savait. Tout le monde s'en fichait". Une bande qui de toute façon "est morte avec la fin du lycée", des gens qui ne comptaient pas vraiment, qui "ne me manqueront pas et c'est ça qui me rend triste". Se fourvoyer pour des personnes insignifiantes. C'est comme le bac: quelle importance au regard de la construction de soi? "On n'arrête pas de nous parler du bac, depuis le début de l'année, depuis le début du lycée, depuis toujours. C'est la porte d'entrée pour la suite, la porte de sortie de la jeunesse, la première chose vraiment importante de nos vies. Blablabla".
Titre du tableau : Changer. "Pauvre connasse. Tu n'as rien compris, rien appris". Comment peut-on se lancer dans la vie adulte si on n'assume pas ce que l'on fait et qui l'on est? Peut-on se laisser réduire par les autres à une caricature de soi, tout comme on les enferme, eux, dans des clichés? "J'espère qu'il me hait. Parce que si ce n'est pas la cas, rien n'a de sens". La proie du "cannibalisme lycéen" en veut forcément à son bourreau, non? A moins qu'une "absolution" soit possible... Alors quitte à être perçue comme une bimbo, autant se comporter comme telle jusqu'au bout... pour mieux renaître ensuite et "devenir autre chose".
Un texte intense, qui nous embarque d'emblée, et qui, en adoptant le point de vue du harceleur, fait s'interroger sur les motifs et surtout l'engrenage qui poussent aux situations les plus extrêmes, et qui, à travers des propos très crus mais honnêtes, laissent la place, malgré tout, à l'espoir.
Patricia Deschamps, mai 2019
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