- Sélection du prix lycéen "Social'BD" -
- Je viens de comprendre comment être un garçon populaire! Il suffit de faire tout ce qui te passe par la tête, et on t'acclame!
Dans l'Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût: Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout.
Mais c'était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations: une « peau d'homme »! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d'un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel.
L'avis d'Anaïs, 15 ans :
La couverture est très belle et il y a des thématiques intéressantes mais je n'ai pas trop accroché à l'histoire de cette bande dessinée ni à son graphisme.
Mon avis :
J'ai relu le conte "Peau d'âne" avant de me lancer dans cette BD pour y trouver des similitudes avec le conte de Perrault auquel le titre fait référence, mais je n'en ai guère trouvées à part le thème du mariage forcé (ou plutôt arrangé, car Bianca n'est pas contre), le personnage de la marraine salvatrice et cette fameuse peau, donc, déguisement permettant à l'héroïne de "voyager incognito" avec la contrepartie cependant de ne pas pouvoir afficher sa véritable identité.
L'album développe plusieurs idées pertinentes mais attention, il y est beaucoup question de sexualité et les scènes de nudité sont nombreuses alors il est à réserver à des lecteurs suffisamment matures. En enfilant la peau de Lorenzo, Bianca souhaite "mieux connaître les hommes tant ils sont pour nous un continent étranger". A l'époque en effet, on recevait une éducation bien différente selon son sexe et la mixité n'était pas de mise. Malgré tout la thématique reste, selon moi, d'actualité: en tant que femme, je ne refuserais pas l'opportunité de me transférer dans un corps masculin par curiosité!
En tant que Lorenzo, Bianca découvre une certaine forme de liberté ("J'ai l'impression d'être capable de n'importe quoi en Lorenzo! C'est grisant"). Elle traîne dans les bars avec Giovanni, découvre la sexualité, l'amour aussi, et mène une vie de débauche qui contraste fort avec les prédications de son moine de frère, Angelo! Bianca profite aussi de son statut d'homme pour briser certains stéréotypes sur les femmes. Mais si Giovanni trouve son épouse "très fine et ouverte d'esprit", il n'en est pas moins amoureux de... Lorenzo. L'homosexualité est également au cœur de l'histoire: assumée dans le privé, elle ne peut être publiquement affichée sous peine des pires sanctions.
Avec le personnage d'Angelo, qui prend de plus en plus d'ampleur au fil des pages, l'intrigue atteint encore une autre dimension: celle de l'intolérance en général. "Crétin arrogant", le moine sait "mettre de belles paroles sur de vilaines pensées". Pour lui les femmes sont "des succubes et des tentatrices" (alors que "par nature ou par éducation, les femmes sont bien plus pudiques que les hommes"!) et l'adultère les conduit aux pires humiliations alors même que leurs propres maris les trompent au vu et au su de tous. Angelo symbolise l'Inquisition avec tout ce qu'elle comporte de répression, de fanatisme et... d'hypocrisie.
Car au fond, le religieux n'est rien d'autre, aux yeux de sa sœur, qu'un "obsédé par la chair, rendu fou par la frustration". Et c'est peut-être bien là que réside le cœur de l'histoire: arrêtons de "feindre d'être quelqu'un que je ne suis pas" et assumons qui l'on est au lieu de "baisser la tête". Dans sa peau d'homme, Bianca ose dire publiquement ce qu'elle pense, et agir en conséquence. Elle finira par trouver un compromis entre ses deux statuts ("C'est ma vie"), consistant à "suivre ses désirs comme un homme" à défaut de pouvoir les assumer pleinement en tant que femme. Pour vivre heureux, vivons cachés!
Patricia Deschamps, janvier 2021