La Crète, l’Irlande, Jérusalem, la côte est de l'Angleterre, Venise, tels sont les décors de ces nouvelles. Un instituteur quadragénaire se trouve entraîné à la suite d'un couple d'Américains dans des parties de pêche qui sont loin d'être ce qu'elles paraissent. Une jeune actrice se lance dans une quête passionnée dont le dénouement la laissera à jamais désemparée. Puis Daphné du Maurier nous conte les vicissitudes d'un groupe de touristes mal assortis, venus en pèlerinage à Jérusalem. Une histoire de science-fiction conduit les héros aux confins de la vie et de la mort. Enfin, sur fond de canaux vénitiens, l'auteure nous fait partager les tragiques vacances d'un couple heureux...
Des gens comme vous et nous, jusqu'au jour où l'inattendu fait irruption dans leur vie quotidienne et la bouleverse à jamais.
Mon avis :
Je suis bien contente d'avoir acheté ce livre d'occasion !
La première nouvelle, qui se déroule sous le soleil de la Crète, est pleine de mystère et d'une tension qui grimpe progressivement. Que s'est-il passé entre les Stoll, "ce ménage d'hurluberlus" et l'ancien locataire du bungalow? Que font-ils toute la journée en mer? Et pourquoi sont-ils disponibles en soirée mais "pas après minuit"? Quel est ce virus dont le narrateur dit être atteint depuis cette aventure? Celui de l'alcool, de la folie, de la culpabilité? Le lecteur se perd en suppositions à l'image de l'instituteur et la fin ne lui donnera pas de véritables réponses, ce qui laisse un sentiment étrange.
"Tel père, telle fille" nous emmène au bord d'un lac sinistre dans un coin perdu d'Irlande. L'auteure a l'art de créer des atmosphères entre beauté des paysages et menace planante! L'héroïne, venue chercher des réponses concernant le passé de son père, s'y sent "seule et vulnérable". Face à cet homme intrigant qui fut autrefois son ami (rencontré dans la marine) et qui vit maintenant isolé s'occupant avec une obscure activité, Shelagh (alias Jinnie, son nom de scène) se laisse elle aussi emporter dans "les brumes de l'imagination". Il faut dire que cette jeune actrice prometteuse joue un rôle, cachant à son hôte le véritable but de sa venue. Même si l'on se doute de la révélation finale, les annonces du commandant Nick Barry sont inattendues et l'issue de l'histoire déstabilisante.
Nouveau décor dépaysant avec "Le chemin de la croix" qui se déroule à Jérusalem. C'est ma préférée, je l'ai trouvée très drôle! On y suit un groupe de touristes hétéroclites mené (tant bien que mal) par le révérend Babcock. Sauf que personne n'a l'air de s'intéresser à ce haut site religieux! Le récit adopte tour à tour le point de vue des différents protagonistes et chacun y va de sa critique pernicieuse par derrière. Entre petits secrets et cancans, on se croirait dans un Agatha Christie, les meurtres en moins. Le seul qui se soit cultivé sur le sujet, c'est le petit Robin! Plus l'enfant épate par sa curiosité et son savoir, plus les adultes semblent misérables. Il leur arrive d'ailleurs toutes sortes de déconvenues plus ou moins cocasses (vengeance divine?) et au lieu d'exalter leur foi, la ville sainte leur laissera un goût d'amertume la faisant qualifier de ville... infernale!
Changement de registre avec "La brèche": c'est avec (agréable) surprise que l'on voit Daphné du Maurier se lancer dans une histoire d'expériences scientifiques sur les ondes électriques, à la frontière du psychisme. On y croise des "savants fous" travaillant sur "une extravagante théorie" top secrète liée aux "forces inconscientes qui peuvent dormir en nous". Le but ultime, "percer la signification de la mort, ce grand rêve de tout savant"... On reste dans l'irrationnel avec "Ne regarde pas tout de suite" (incipit de la nouvelle, mais qui prend pleinement sa signification à la toute fin...) dont l'intrigue tourne autour d'un duo de vieilles dames ("jumelles diaboliques") et de visions médiumniques. Pour le héros en vacances avec sa femme à Venise, le séjour tourne au cauchemar...
Ce sont donc cinq nouvelles qui nous montrent, s'il en est besoin, tout le talent de Daphné du Maurier qui aura su se renouveler jusqu'au bout (le recueil date de 1971, il fait partie de ses derniers écrits de fiction). Il est d'ailleurs dommage que, mis à part "Pas après minuit", elles n'aient pas été rééditées (d'où mon achat d'occasion!).
Patricia Deschamps, avril 2020