Le XIXe siècle compte de nombreuses femmes artistes: peintres, sculptrices, romancières, poétesses, mais peu de leurs noms sont arrivés jusqu'à nous. Condamnées moralement et moquées de leur vivant parce qu'elles avaient échappé aux rôles que les hommes leur avaient dévolus, elles ont souvent été effacées des mémoires et oubliées dans les anthologies.
Connaissez-vous Jeanne Loiseau, Marie de Heredia ou Marcelle Tinayre ? Des femmes autrices au succès reconnu de leur vivant, mais qui ont peu à peu sombré dans l'oubli. Et pourtant... Des figures de mères et de femmes sacrifiées ou blessées, des histoires de mortes vengeresses et d'événements paranormaux : voici ce que vous raconteront ces six nouvelles.
(4e de couverture)
Mon avis :
C'est une belle édition en couleur, avec un avant texte de qualité pour introduire la lecture.
La première nouvelle, "Une mère" de Jeanne Loiseau, est tout à fait transposable à notre époque: Hélène, femme abandonnée par son mari, élève seule ses deux enfants dans une pauvreté mal dissimulée. Son objectif: "mener à bien l'éducation des enfants sans aucun compromis". Il faudra pourtant mettre sa fierté de côté et se résoudre à en faire... Hélène aura tout essayé: donner des cours particuliers (mais la jeune femme riche à qui elle s'adresse, si elle est prête à dépenser une fortune en soins de beauté, rechigne à payer une enseignante pour ses enfants...) et même rédiger des articles de journal. Cependant ses chroniques, jugées d'une "finesse d'ironie amusante", se heurtent à la misogynie de ce milieu 100% masculin ("C'était l’œuvre d'une femme"). On partage avec elle son sentiment d'humiliation: trouver du travail, chercher à s'en sortir dignement, et se trouver confronter au mépris général, y compris celui de son mari qui se décharge sur elle de ses démarches d'affaires nébuleuses, il y a de quoi se décourager. Comme de nombreuses mamans, Hélène finira par se sacrifier pour le bien être de ses enfants, notamment pour le prometteur François méritant de brillantes études ("Ma mère a fait tout ce qu'elle a pu")...
A la lecture de ce premier texte, on pense évidemment à l'historienne et journaliste Titiou Lecoq qui s'efforce de faire revivre les femmes oubliées du passé (ici, les autrices des nouvelles) tout en interpelant sur les situations perdurant de nos jours dans les couples. Le portrait d'homme n'est guère plus glorieux dans "Un secret de femme" de Camille Bias, histoire d'un mari qui, influencé par sa sœur (mauvaise), prouve qu'il n'a aucune confiance en sa femme.
La troisième, "L'autographe" de Marcelle Tinayre, raconte la vie de misère d'une femme seule. Cette ouvrière pauvre dépensera l'argent prévu à l'achat de bottines neuves pour acquérir un souvenir de son premier amour, "du seul amour de sa jeunesse". Un bien triste parcours...
Ce n'est guère mieux dans "La fille spectre" d'Agathe-Pauline Caylac de Ceylan, scène très vivante d'un voyage en diligence perturbé par la montée d'une petite sourde-muette ("Elle m'a toujours porté malheur..."). Maurice, jeune fiancé à quelques jours de son mariage, continue de s'intéresser aux belles femmes en don juan qu'il est, et représente donc "la perfidie masculine". Il est aussi question d'une femme abandonnée dans l'anecdote de l'hôtesse.
Par contre la nouvelle a une touche fantastique ("Une sensation de froid, un malaise physique et moral", "La petite-morte avait une tête de mort parfaite") et une fin mystérieuses qui introduisent les deux dernières.
L'ambiance de "Les morts se vengent" par Marie-Noémi Cadiot est en effet complètement différente, plus glauque et angoissante, voire surnaturelle avec ses morts qui se réveillent à la Toussaint ("Le jour des morts") façon Halloween.
La nouvelle qui clôt le recueil, "Le papillon rouge" de Marie de Heredia est également fantastique mais avec un brin de poésie. Persuadé qu'il ne reverra son amoureuse que le jour où il aura trouvé un papillon rouge sang, Fulgens passe sa vie à collectionner les insectes jusqu'à en devenir fou ("De la vie, de la liberté, de la beauté, de la joie, voilà ce que j'ai emprisonné dans la mort pour l'amour d'elle").
Nul doute que ces textes de "voix féminines" égalent en qualité ceux étudiés en classe de 4e!
Patricia Deschamps, septembre 2024