Depuis toujours, des gens font fortune sur la tristesse, sur la pauvreté, sur la fragilité.
New York, 1887. Nellie Bly est complètement folle. Sans cesse, elle répète vouloir retrouver ses « troncs ». Personne n’arrive à saisir le sens de ses propos, car en réalité, tout cela n’est qu’une vaste supercherie. Nellie cherche à se faire interner dans l’asile psychiatrique de Blackwell dans le but d’y enquêter sur les conditions de vie de ses résidentes. Y parvenant avec une facilité déconcertante, elle découvre un univers glacial, sadique et misogyne, où ne pas parfaitement remplir le rôle assigné aux femmes leur suffit à être désignée comme aliénée.
(4e de couverture)
Mon avis :
Découvrez l’histoire vraie de "la pionnière du journalisme d’investigation et du reportage clandestin" qui a partagé pendant dix jours l'ordinaire de la vie à l'asile des femmes internées là, afin de dénoncer leurs conditions de détention. Car oui, à New York en cette fin de 19e siècle, Blackwell ressemble bien plus à une prison qu'à un hôpital psychiatrique! "Il fait froid, la nourriture est insipide, les châles sont mités, les couvertures aussi", sans compter les consultations médicales bâclées et surtout les violences infligées par les infirmières. Pour Elizabeth Cochrane, alias Nelly Bly, journaliste infiltrée pour le "New York World", "la charité n'autorise pas la maltraitance" et elle constate que, si la plupart des femmes sont saines d'esprit en arrivant, "elles deviennent folles d'impuissance face à l'institution qui ne les écoute pas, folles de rage d'être considérées comme démentes, folles d'angoisse à l'idée de rester enfermées toute leur vie ici".
Mais alors pourquoi sont-elles internées? "Parce qu'elles n'étaient pas parvenues à remplir le rôle assigné aux femmes", selon Nelly. La jeune journaliste est bien placée pour connaître "l'injustice de mon sexe". Des flashbacks racontant son enfance expliquent d'où lui vient sa vocation à dénoncer les injustices: on y voit comment sa mère a été traitée à la mort de son père. A l'époque, une femme ne peut vivre que sous la tutelle d'un homme. Sans aucune autonomie financière, une femme seule voit "ses désirs et ses volontés étranglés par le joug de la société". Ce que dénonce Nelly avant tout, c'est donc "la précarité sociale des femmes".
La dernière partie, un peu moins intéressante selon moi, montre le procès intenté contre le directeur de Blackwell. On y voit une Nelly courageuse affrontant une assemblée d'hommes réfractaires, mais néanmoins soutenue par un avocat aussi déterminé qu'elle. Au final la ville de New York débloquera des fonds pour l'asile tout en renforçant la commission de surveillance des œuvres de bienfaisance. Il ne restera plus à Nelly qu'à trouver un nouveau combat à mener!
Patricia Deschamps, juin 2022