Malade de l’Oublie-tout, Ferdinand était devenu une sorte de voyageur temporel, voguant entre les époques comme on passe d’un chapitre à l’autre du grand livre de la vie.
Dans la forêt de Bellécorce, au creux du chêne où Archibald Renard tient sa librairie, chaque animal qui le souhaite peut déposer le livre qu'il a écrit et espérer qu'il soit un jour acheté. Depuis que ses souvenirs le fuient, Ferdinand Taupe cherche désespérément à retrouver l'ouvrage qu'il a écrit pour compiler ses mémoires, afin de se rappeler les choses qu'il a faites et surtout retrouver Maude, sa femme qu'il aime tant et qui a disparu. Il existe un seul exemplaire de ce livre, déposé à la librairie il y a des années. Mais justement, un mystérieux client vient de partir avec... À l'aide de vieilles photographies, Archibald et Ferdinand se lancent sur ses traces en forêt.
(4e de couverture)
Mon avis :
Ferdinand Taupe, ou comment évoquer la maladie d'Alzheimer à travers une jolie histoire animalière.
L'objet-livre est magnifique, depuis sa couverture dorée jusqu'aux illustrations intérieures en couleur. Dans le village de Bellécorce, niché au cœur de la forêt, les héros sont tous des animaux plus attachants les uns que les autres. A travers leur aventure qui les mène du salon de thé de Pétunia Marmotte à la Brocantaupe de Violette en passant par le chêne où Gédéon Hibou donne son concert annuel, sans oublier "La retraite des plumes" où apprentis écrivains viennent noircir des pages sous l'aile protectrice d'Elisabeth Poule, Archibald le renard libraire et Ferdinand Taupe vont de chouette rencontre en surprenante découverte tandis que ce dernier traque ses souvenirs perdus.
La taupe vieillissante a en effet "la maladie de l'Oublie-tout". Confus et bouleversé, il cherche désespérément sa femme Maude. Conscient que sa mémoire part en lambeaux, il est persuadé que ses "Mémoires d'Outre-Terre", écrit autrefois, lui rapportera tous ces moments-clés de sa vie qui lui échappent. Les manifestations de la maladie sont parfaitement décrites. J'ai beaucoup aimé la scène dans laquelle Ferdinand "reprend conscience dans une pièce sans lumière et fenêtre" où des portes s'entrouvrent les unes après les autres, révélant chaque fois un souvenir évanescent. On ressent la peur du personnage et en même temps l'espoir de saisir, une dernière fois, l'image qui s'enfuit. Car la mémoire tient à peu de chose: le goût d'une tarte, l'air d'une musique, le parfum de la lavande sont autant de façons différentes de la raviver.
A travers le personnage d'Archibald, compagnon de route improvisé, on apprend comment réagir à une crise. Chaque fois que Ferdinand plonge brutalement dans un moment de son passé et panique, le renard tente de le ramener doucement à la réalité. Dans ce genre de situation, il faut se montrer patient ("apprendre à prendre le temps") et "se résigner à jouer le rôle de notre parent redevenu gamin". L'épisode du retour à la maison de Ferdinand est également représentatif: on y découvre un logement en complet désordre car au fil du temps, la taupe a oublié jusqu'aux gestes quotidiens (ranger, débarrasser, nettoyer). Seule la chambre conjugale est restée impeccable, tel un autel à la mémoire de Maude.
La fin réserve une belle surprise. Jusqu'au bout, l'auteur aura su entretenir un univers doux et poétique malgré la gravité du thème. On ressent aussi une grande sérénité face à ce temps qui passe trop vite. Le drame aura fait naître une solide amitié. Quand la mémoire s'enfuit, notre cerveau se recrée un monde onirique se concentrant sur les meilleurs moments de notre existence. Et si ceux-ci s'envolent à leur tour, on peut se consoler en se disant qu'ils restent dans le cœur de ceux qui nous aiment. A chacun de trouver ce qui peut le rassurer face à l'inéluctable: "Oui, c'est vrai, l'histoire qu'il avait commencée était en train de se terminer; mais il n'avait plus peur".
Patricia Deschamps, août 2022