Méduse

roman de Jessie BURTON

Était-ce donc ce que provoquait l'attirance ? Une sensation de perte de contrôle ? (p.26)

Gallimard jeunesse, 2024, 182p.
Gallimard jeunesse, 2024, 182p.

 

Exilée sur une île lointaine après avoir été abusée par des dieux puissants, Méduse a peu de compagnie en dehors de ses sœurs devenues des Gorgones, et des serpents qui lui tiennent lieu de chevelure. Hantée par ses souvenirs, elle n'a d'autre choix que de se réconcilier avec ce qu'elle est désormais : une créature monstrueuse. Mais quand le beau Persée arrive dans sa vie, la paix de son existence solitaire vole en éclats, avec l'apparition du désir, de l'amour... et de la trahison.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

(Re)découvrez l'histoire de Méduse sous l'angle de son histoire d'amour avec Persée.

Voilà quatre ans que la jeune femme (qui a 18 ans) est coincée sur son île avec ses deux sœurs Sthéno et Euryale ("C'est beaucoup pour réfléchir à tout ce qui s'est mal passé dans votre vie"). On comprend que les serpents sur sa tête ("Je ne les maîtrisais pas encore entièrement. Ils me faisaient peur.") sont une punition d'Athéna la jalouse mais il faudra attendre un peu pour avoir des détails. Pour l'instant, ce ne sont que souffrance, solitude et nostalgie.

 

Et voilà que Persée débarque sur l'île. C'est à travers ses conversations avec une Méduse cachée que l'on apprend ce qui est arrivé à celle-ci. Fils de Zeus et Danaé, le jeune homme a également un parcours atypique et plein de mystère. C'est d'ailleurs en se découvrant des points communs que tous deux se rapprochent. J'ai trouvé Méduse touchante lorsqu'elle raconte ses "moments de détresse" (la métamorphose, l'épisode avec Poséidon), d'autant qu'elle n'a pas l'air au courant de la malédiction qui pèse sur elle ("Malheur à tout homme qui sera assez stupide pour poser les yeux sur toi, désormais!")...

 

Mais malgré son allure, peut-on la qualifier de "monstrueuse"? Qui est le monstre en réalité? Poséidon qui la harcèle ("Tout est possible quand la fureur d'un dieu se déchaîne"), tout comme son pendant le roi Polydecte avec la mère de Persée? Les villageois qui lui reprochaient sa beauté? Athéna qui s'est vengée? Au fur et à mesure qu'elle replonge dans ses souvenirs, la tristesse de Méduse se transforme en colère: "Qu'est-ce que j'ai fait de mal?", "Je veux être NORMALE!".

 

J'ai trouvé sympathique que chaque serpent soit caractérisé par un prénom, une couleur et une réaction singulières. On voit que "ils font partie de moi, maintenant, il n'y a pas de retour en arrière possible". On sent le personnage évoluer: "Sur cette île, peut-être que j'avais trouvé mon espace, celui dans lequel je pouvais être moi, tout simplement. Peut-être que, sans m'en rendre compte, j'avais trouvé une sorte de paix".

 

Apprendre quelle est la mission de Persée risque de surprendre le jeune lecteur ("C'était un destin taché de sang et le désir de protéger sa mère qui l'avaient poussé à errer sur les flots"). Le récit de son affrontement final avec Méduse, dans la bouche de celle-ci, est émouvant ("Je suis résolue. Sans peur."). La trahison acte le changement et c'est une Méduse "en accord avec son moi profond" que l'on quitte ("J'en avais assez que des hommes, des dieux et des déesses dictent le flux et le reflux de mon bonheur, de mes états d'âme"). L'autrice réécrit le dénouement, apportant une nouvelle dimension au mythe et une grandeur nouvelle à sa protagoniste.

Patricia Deschamps, juin 2024

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