Mon père était boxeur

BD de Barbara PELLERIN et KRIS (scénario), Vincent BAILLY (dessin)

- C'est vraiment la boxe que tu as envie de filmer ? Ce ne serait pas plutôt... ton père? 

- Lui, c'est juste ma porte d'entrée dans la boxe.

- Ce ne serait pas l'inverse, plutôt ? La boxe qui est une porte d'entrée vers ton père.

Futuropolis, 2016, 71 p.
Futuropolis, 2016, 71 p.

"Cadet d'une famille de quatorze enfants, mon père avait l'habitude de se faire respecter avec les poings. À 18 ans, galvanisé par un titre de champion de France espoirs, il interpella ma mère dans la cour de l'usine pour la demander en mariage.

 

Durant dix-sept ans, ma mère accompagna ses victoires et ses défaites. Pourtant, de leur histoire je ne me souviens que des disputes, de mon père fou de rage, fou d'amour, fou de jalousie, fou d'une violence qui le dépassait.

 

Malgré tout, au milieu d'un gouffre creusé depuis l'enfance, la boxe deviendra un trait d'union entre nous deux. A 30 ans, désormais armée d'une caméra, je décide de le suivre aux abords du ring.

 

Ce récit est le portrait d'une relation entre un père et sa fille."

 

Texte : 4e de couverture

Mon avis :

Une association BD + DVD originale pour une relation père / fille pleine de pudeur.

Le graphisme de l'album est particulier : aux couleurs (façon aquarelle) se mêle du crayon noir plus ou moins accentué. On comprend que celui-ci représente la part d'ombre du père de Barbara, parfois sujet à des excès de violence impressionnants, souvent dus à l'alcool. La fillette craint son père et en même temps il la fascine, comme le prouve notamment son admiration pour les médailles qu'il a gagnées : "Sans doute voyait-il dans le feu beaucoup de lui-même : la passion et la destruction". Une fois devenue adulte, Barbara perçoit toujours son père comme un mystère : "Il ne me posait jamais de questions et la seule chose que je savais de lui, au fond, c'est qu'il était boxeur". Alors la jeune femme prend la caméra et se rend au Boxing Club de Rouen pour filmer son père dans son milieu, porte d'entrée (inconsciente) vers cet homme si distant et avec qui pourtant elle a vécu "de chouettes moments de partage".

 

Mais la parole peine à se libérer. On sent beaucoup de non-dits entre ces deux-là ("Tu pouvais m'inviter", "Je ne savais pas que tu aimais jardiner", "Je te l'ai jamais dit", "J'ai jamais été démonstratif"). Beaucoup de déni aussi : Barbara n'ose pas s'avouer que c'est son père le sujet de son film et pas la boxe, qu'elle a besoin d'entendre celui-ci lui dire qu'il l'aime... tandis que lui minimise la violence de ses réactions et leur impact sur sa fille, peine à se livrer. C'est touchant ("Nous ne savions pas quoi nous dire"), émouvant, on sent chez Barbara le besoin presque douloureux d'exprimer des sentiments trop longtemps enfouis et en même temps une pudeur qui la fait se retrancher derrière cette caméra écran alors même que son utilisation expose son intimité.

 

C'est le film qu'elle dit tourner dans la bande dessinée que l'on peut regarder sur le DVD. On y voit des souvenirs en Super 8 en alternance avec "l'interview" du père au club de boxe. Si certaines scènes se répètent avec le livre, on y découvre surtout un homme qui n'est plus que l'ombre de lui-même (élément qui ne transparaît pas forcément dans la BD) : il fait beaucoup répéter sa fille, ne comprend pas bien ses propos, répond parfois à côté de la question, révèle une mémoire défaillante ("J'ai pris des coups"). Voir cet homme aussi diminué est vraiment triste... On le sent blessé aussi, au plus profond de lui-même, par son divorce, sa dépression chronique. Car il finit par se livrer, un peu, cédant à l'insistance de sa fille, même si l'échange reste distant : "Je crois qu'il ne savait pas trop comment faire pour être papa", "nous étions étrangers l'un à l'autre". Et finalement il le lui dira, à demi-mots: "L'amour que je porte à mes filles, il est là, il existe. Il est en moi"... passant enfin d'un "ma fille" impersonnel à "toi". On en est gêné d'ailleurs, ayant l'impression, tel un voyeur, d'espionner l'intimité d'un père et de sa fille. Car la démarche est bien plus personnelle qu'artistique... même si l'on retiendra ce message primordial : se dire que l'on s'aime tant que l'on est en vie, pour ne pas vivre avec des regrets...

 

Patricia Deschamps, janvier 2017


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