Moi, Ligia, sirène

Et si les monstres avaient une part d'humanité ? Si ce n'était pas eux les méchants ? S'ils étaient aussi des victimes ?

Ligia ou la vie maudite de femme-oiseau.

Tout commence avec une magnifique couverture aux tons chauds mettant en exergue la double personnalité de la narratrice: monstre sur son rocher et femme dans son reflet. Il se dégage beaucoup de tristesse du texte car Ligia est tiraillée entre ses pulsions de sirène (qui, dans la mythologie grecque, a un corps d'oiseau et non de poisson!) condamnée à charmer les marins de son chant ("Notre voix est notre arme") afin de combler sa faim dévorante ("Seule la chair des hommes peut nous rassasier"), et sa part d'humanité qu'elle entretient par les souvenirs de sa vie d'avant la métamorphose ("Raconte-moi comme nous étions heureuses, avant") et l'amour pour sa sœur Leucosia qui partage son sort. Celle-ci, de nature plus gaie et combative, l'aide beaucoup à tenir le coup ("Cette vie me rend folle"), peut-être parce qu'elle se pose moins de questions. Mais c'est bien là tout l'intérêt du personnage de Ligia: elle culpabilise de son comportement monstrueux ("Je me sens sale"), alors qu'elle n'est qu'une victime ("Comment justifier les horreurs que les dieux nous condamnent à commettre?").

A l'origine de la malédiction de Ligia et Leucosia, il y a en effet la colère de Déméter, déesse des moissons, à la disparition de sa fille Coré. L'épisode est l'occasion de (re)découvrir le récit du mythe. De même l'on croise Jason et ses Argonautes accompagnés d'Orphée au chant envoûtant ("Nous avons trouvé notre maître"), ainsi qu'Ulysse "le rusé" et ses compagnons de retour d'Ithaque.

Ainsi le roman mêle étroitement mythologie et émotion dans un récit original et de qualité. On a hâte de découvrir les prochains titres!

Patricia Deschamps, septembre 2020