Ni couleur imposée ni pensée unique, nos matins seront libres.
Charlie et son copain ont l'habitude de passer le temps ensemble autour d'un café ou d'une partie de belote, discutant de tout et de rien.
Quand Charlie annonce qu'il a dû faire piquer son chien uniquement parce qu'il n'était pas brun, son ami ne s'étonne pas plus que ça. Mais ensuite c'est au tour des chats : on ne doit garder que les bruns et éliminer les autres.
Un journal se révolte, le Quotidien : il est interdit de publication. Désormais seules sont autorisées les Nouvelles brunes. Jusqu'où vont aller les répressions ? Charlie et son ami ont-ils raison de s'y plier pour préserver leur sécurité ?
L'avis de Michaël, en 1ère :
Mon avis :
Un album aux allures de conte qui cache une réflexion profonde et intemporelle sur ces "démissions quotidiennes de chacun d'entre nous qui facilitent et nourrissent la montée insidieuse des idées totalitaires de la société".
A travers sa petite histoire courte toute simple, presque innocente, Franck Pavloff raconte parfaitement comment, pris dans la routine de notre quotidien, nous n'accordons pas toujours assez d'importance à certains faits graves qui nous parviennent : "Mon cœur s'était serré, puis on oublie vite." Le narrateur s'en remet à l'avis - éclairé, n'est-ce pas ? - des "scientifiques de l’État national", s'interroge tout de même un peu mais étouffe vite ses réflexions naissantes : "J'avais sûrement tort de m'inquiéter", "trop de sensiblerie ne mène pas à grand-chose".
Et pourtant c'est bien d'arbitraire dont il s'agit (pourquoi ne garderait-on que les animaux bruns ?), caché sous couvert de pseudo tests scientifiques (les animaux bruns soi-disant s'adaptent mieux, ont des portées plus nombreuses tout en mangeant moins). Bref "une histoire pas très claire encore", cependant on pressent d'emblée qu'il serait malvenu de la contester. Le narrateur est d'ailleurs sur le qui-vive, il surveille ses propos "au cas où on aurait surpris notre conversation" (ce qui ne va pas sans rappeler le Big Brother de 1984). C'est le début de l'abdication ("On était bien vus et on était tranquilles"), le renoncement pour "se simplifier la vie" même si c'est "au prix de la liberté" de pensée et d'expression...
Pour autant le narrateur ne va pas se sentir longtemps en sécurité, "se sentir en règle" puisque celle-ci évolue au gré du bon vouloir du gouvernement. A l'instar des nazis qui remontaient plusieurs générations pour établir l'identité juive d'un individu (le "sang mêlé"), on remonte les antécédents des propriétaires d'animaux ("avant, il en avait un noir") et même de leur famille ! Un système pernicieux dont le narrateur prend conscience trop tard : "J'aurais dû me méfier des Bruns dès qu'ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux" et surtout "résister davantage".
Le texte est jalonné des portraits hétéroclites du graffeur C215 qui accentuent le côté grave de l'allégorie : ces hommes et ces femmes du monde entier, de toutes nationalités et de tous âges - parce que nous sommes tous concernés - nous fixent de leur regard dur, presque dérangeant, comme s'ils nous exhortaient à prendre partie, à prendre position. La typographie met en avant certaines phrases, chaque double page est imprimée sur fond de couleur, et tandis que les images se font de plus en plus agressives, de plus en plus violentes, l'histoire se termine par des feuilles entièrement... brunes. Cependant l'album se clôture sur deux visages d'enfants sur fond vert, l'un souriant et l'autre tourné vers l'avenir, symbole d'un espoir auquel on ne souhaite pas renoncer !
Patricia Deschamps, janvier 2018