Pourquoi ne suis-je pas née normale ? Pourquoi les uns ont-ils tout alors que d'autres n'ont rien et qu'ils se contenteraient d'une miette de tout cela ?
Vous connaissez le conte de La Belle et la Bête, mais savez-vous qu'il est inspiré d'une histoire vraie ?
Catherine (la Belle) et Pierre (la Bête) vivent à la Cour de France, sous le règne de Catherine de Médicis.
L'une de leurs filles, Tognina, a hérité de son père un corps couvert de poils qui en fait, aux yeux de ses contemporains, au mieux une curiosité, au pire un monstre de foire exhibé auprès des prestigieux invités de la reine.
Comment échapper à ce destin ? Comment vivre ses rêves d'amour et d'aventure, quand on est une vraie jeune fille ? Aura-t-elle seulement le droit de tomber amoureuse ? Et pourquoi pas d'être aimée ?
(4e de couverture)
Mon avis :
Un récit entre émotion et Histoire.
Sa maladie (aujourd'hui identifiée et appelée hypertrichose), Tognina la tient de son père, né aux îles Canaries et enlevé pour être offert au roi de France. Celui-ci a tenu à ce que lui et ses enfants soient instruits et pourtant ils sont "attachés à la ménagerie royale", sortes "d'animaux savants" que l'on exhibe "avec si peu d'humanité". Traitée de "fille-chien" et de "guenon", Tognina a l'impression d'être "le jouet de la reine", sorte "d'animal sans âme" à qui l'on ne s'adresse jamais directement : "L'utilisation de la 3e personne à son propos avait toujours eu le don d'exaspérer Tognina." Ce peu de considération la fait cruellement souffrir, elle qui ne rêve que d'être tenue pour humaine... et d'être aimée comme toute adolescente ("L'amour se moque des apparences"), notamment de Odon le sonneur de cloches qu'elle aime en secret.
Si le parcours de la jeune fille est chaotique et éprouvant, il croise néanmoins la route de célébrités de l'époque, puisqu'elle évolue à la cour de Catherine de Médicis. D'abord excédée par les moqueries de la bande des bouffons, des folles et des nains, elle se rendra compte que "nous sommes cruels parce que nous souffrons", comme elle. A l'intrigue personnelle vient se mêler le contexte historique, en pleine guerre des catholiques contre les protestants. Montaigne, Ambroise Paré (le père de la chirurgie moderne), Lavinia Fontana, femme et peintre italienne "au caractère bien trempé" (qui rappelle l'héroïne du manga Arte) sont d'authentiques personnages venant enrichir le récit.
Si la fin du roman ouvre un espoir à cette touchante héroïne, le petit dossier documentaire qui vient le clore laisse le mystère entier : lors de la période de famine qu'a connu Bologne (où se déroule la seconde partie de l'histoire), on a perdu la trace de Tognina...
Patricia Deschamps, septembre 2018