"Le théâtre te perdra, Victor."
Novembre 1943. Victor Steiner est un dramaturge célèbre... mais juif. Arrêté après une représentation théâtrale, il est déporté à Terezin, un camp situé en Tchécoslovaquie, où l'on envoie les Juifs "importants".
A peine arrivé, Steiner est convoqué par l'officier SS Waltz, un amoureux des arts. Celui-ci demande au dramaturge d'écrire et mettre en scène une pièce inédite, se déroulant à l'époque du Roi-Soleil, pour la venue de la Croix Rouge Internationale : il faut faire bonne impression à l'association lors de son inspection... En échange, Steiner bénéficiera bien sûr d'un traitement de faveur.
Six mois pour créer une oeuvre sur commande ! Steiner hésite à accepter. Mais les Juifs du Conseil des Anciens lui annonce que la représentation de sa pièce à Prague est l'occasion pour la Résistance de mettre en oeuvre un plan d'évasion...
Mon avis :
Comme dans Swing à Berlin, Christophe Lambert aborde la Seconde Guerre mondiale sous l'angle de l'art. Deux thématiques s'y entrelacent : le terrible quotidien du camp de concentration, et le travail de création littéraire, avec comme problématique de fond : un artiste qui accepte les concessions perd-il en intégrité ?
Terezin n'est pas un camp comme les autres. Avec son découpage en quartier, son parc, sa bibliothèque et son hôpital, il se targue de fonctionner comme une petite ville. En réalité, comme dans tous les autres camps, les prisonniers n'y échappent pas à la faim et à la maladie, aux travaux forcés et surtout aux convois vers Auschwitz... Le récit est ainsi ponctué de scènes éprouvantes qui viennent contraster avec les moments consacrés à l'écriture de la pièce par Steiner.
Car c'est un projet un peu fou que cette histoire de théâtre en plein camp ! Et surtout un sacré défi pour cet artiste habitué à créer librement. Mais sa survie est en jeu... Alors on suit avec délectation la mise en oeuvre des mécanismes de création littéraire qui fait qu'un artiste, à partir de certaines contraintes, élabore une création personnelle de qualité. Christophe Lambert s'est d'ailleurs lui-même prêté au jeu en écrivant (en alexandrins !) la fameuse pièce de son héros, Le Défi de Molière ! On comprend d'ailleurs d'emblée que la façon de travailler de Steiner est la sienne.
Le héros jonglera ainsi tout au long de l'intrigue entre ses obligations de prisonnier et son statut de dramaturge du camp. Sa position lui confère des avantages qu'il apprendra à négocier, mais aussi une certaine responsabilité envers les autres : il détient le sort de sa troupe entre ses mains...
Les derniers chapitres, consacrés à la représentation officielle à Prague, sont riches en tension et en rebondissements, jusqu'au point final !
Patricia Deschamps, juillet 2015