- C'est quoi, ces valises ?
- Les valises des gens ; ils arrivaient en train avec leurs bagages et ils écrivaient leur nom dessus pour les retrouver après, mais... on leur rendait pas. On leur prenait tout, les sacs, les cheveux, les bijoux, les... les enfants. La vie.
Ce dimanche de 1982 dans le car qui emmène sa classe, Sarah n'est pas de bonne humeur. Sa meilleure amie, Josy, ne lui parle plus. Ce frimeur de Jérôme avec sa cour l'exaspère. Et ce voyage scolaire pour aller voir les barbelés d'Auschwitz est interminable. Mais sur place, devant un amoncellement de valises exposées dans une vitrine, elle est bouleversée. Un nom écrit à la craie sur l'une d'elles la saisit jusqu'au malaise: Levin.
De retour chez elle, Sarah est déterminée à obtenir les réponses aux questions qu'elle se pose depuis toujours: qui est son père ? Pourquoi ne l'a-t-elle jamais vu ? Pourquoi sa mère est-elle incapable d'en parler ?
Mon avis :
L'histoire d'une adolescente à la recherche du passé familial... et d'elle-même.
Sarah est une jeune fille plutôt solitaire et introvertie qui n'a qu'une seule véritable amie et entretient une relation distante avec sa mère : "Ma mère, elle me considère comme une bouche à nourrir, un truc qui prend de la place dans la maison et qui ne sert pas à grand-chose". Elles vivent seules toutes les deux dans un appartement "pourri", Sarah n'ayant jamais connu son père ni osé poser de questions à son sujet.
Deux événements vont venir bouleverser la situation. Un voyage scolaire à Auschwitz ("Fallait que je vienne ici à Auschwitz pour me poser des questions sur mes origines et sur mon père.") et un incident concernant la mère de Sarah. A partir de là, l'adolescente va entreprendre une enquête sur l'identité de son père et les raisons de son absence, et en parallèle, modifier complètement sa perception des gens autour d'elle : "Ce n'est pas moi qui ai changé, c'est ton regard sur moi". Elle se rend compte tout d'abord que "plusieurs personnes sont prêtes à m'aider" : son professeur d'histoire, son amie Josy, sa camarade Camille, et surtout Jérôme qui est loin d'être "le petit con prétentieux" qu'elle pensait. Ainsi on suit à la fois les interrogations historiques de l'héroïne et son histoire d'amour naissante, les deux contribuant tout autant à son éclosion, son épanouissement. Sarah, qui n'a "pas l'habitude qu'on s'intéresse à moi", "à ce qu'on s'occupe de moi comme ça", "mesure tout à coup combien je suis importante pour eux" : "T'es pas comme les autres filles", lui dit Jérôme qui la considère "surprenante".
Mais c'est surtout par rapport à sa mère que la prise de conscience est la plus forte : "Ce n'est pas elle qui s'est éloignée, c'est moi qui ne lui laissais plus de prise". Maintenant qu'elle connaît le sombre drame familial, Sarah voit sa mère comme une femme blessée, "à jamais fermée à l'amour et à la tendresse"... et désormais "je l'aime encore plus fort, et mieux, sûrement. Elle me semble si fragile tout à coup." Leur relation fait écho à celle que Jérôme entretient avec son père ("On s'était pas parlé depuis la mort de ma mère."), comme si les réactions de la jeune fille rayonnaient sur ses proches. Ainsi on oscille entre Histoire et émotion, dans un roman à la fois universel et intimiste, qui individualise les persécutions faites aux juifs tout en faisant réaliser leur impact sur les générations suivantes. Si le passé est douloureux, il est néanmoins nécessaire de s'y confronter pour ensuite, comme Sarah, pouvoir "commencer une autre vie".
Patricia Deschamps, juin 2018