Il faut subir soi-même une chose pour qu'elle vous touche.
Au début des années 1950, sur un rivage de la côte anglaise. Nat, ouvrier agricole, est surpris cet après-midi-là par les nuées d'oiseaux qui s'amassent au dessus de la ferme où il travaille.
Le soir, c'est le changement de temps soudain qui le surprend: la douceur de l'automne a brutalement laissé place à un froid hivernal. Pendant la nuit, il est réveillé par un oiseau qui tape à la fenêtre. En voulant le chasser, il se prend un violent coup de bec qui lui laisse la main en sang. Puis, ce sont des dizaines de volatiles agressifs qui s'engouffrent dans la chambre des enfants dont la fenêtre est restée ouverte... Que se passe-t-il? Pourquoi les oiseaux s'attaquent-ils aux hommes? Que faire pour s'en protéger?
Mon avis :
Je gardais un bon souvenir du film d'Hitchcock, alors quand j'ai su que l'histoire était de la grande Daphné du Maurier, je me suis précipitée pour trouver le recueil! L'autrice a vraiment l'art de nous embarquer dans des univers très différents, c'est bluffant! "Les oiseaux" est une nouvelle apocalyptique survivaliste qui n'a rien à envier aux publications et séries actuelles. L'ambiance est oppressante, entre le silence, le vent d'est glacial et cet "énorme nuage noir"... d'oiseaux. J'ai toujours trouvé très efficace de générer la peur à partir d'un élément du quotidien au prime abord inoffensif. L'intrigue se déroule quasiment en huis clos, autour de ce père de famille cherchant à protéger femme et enfants en organisant leur défense et leur survie. Le vocabulaire militaire employé ("troupe d'oiseaux qui s'étendaient en formation régulière", "semblaient engagés dans d'autres missions") donne le sentiment d'être en guerre. Intuitif, Nat a d'emblée perçu la menace alors que les autres minimisent le danger ("Encore une qui s'en fout"). Les autorités elles-mêmes se laisseront déborder par les événements ("Qu'est-ce que font nos dirigeants?"). Dès lors, c'est seuls que les Hocken doivent affronter l'attaque des volatiles...
On ne connaîtra pas la cause du comportement inattendu de ceux-ci (dérèglement climatique? révolte animale?)... On ne saura pas non plus comment tout cela se termine. La fin de la nouvelle n'est en fait que le début d'une longue épreuve... Ce qui renforce le malaise du lecteur: quel avenir espérer dans un tel contexte?
J'ai également beaucoup aimé "Le pommier", histoire à la dimension fantastique: un veuf, plutôt soulagé par la mort de sa femme qui le contrariait constamment avec ses attitudes de martyr, semble réincarnée à travers un arbre du jardin pour continuer de le hanter ("Cet arbre était un constant rappel de tout ce qu'il avait toujours détesté")... Et se venger?
"Encore un baiser" est une histoire sentimentale dramatique liée à la guerre, autour d'une ouvreuse de cinéma auréolée de mystère.
"Le Vieux" a des allures de drame familial (dans la veine du Petit Poucet)... relativisé par une chute inattendue!
Avec "Mobile inconnu", on est plongé dans une enquête habilement construite. Qu'est-ce qui a provoqué le suicide soudain de cette jeune mariée enceinte? Le détective privé qui creuse son passé va dénicher des mensonges et des secrets qui ne sont pas sans rappeler l'atmosphère de Ma cousine Rachel.
L'héroïne du "Petit photographe" est une riche oisive à la fois agaçante et pitoyable. En vacances dans un hôtel de luxe, elle s'ennuie et va, par désœuvrement, jouer avec les sentiments d'un jeune homme du coin... jusqu'au drame. J'ai aimé l'ambiance estivale, entre chaleur lourde et langueur.
Enfin, "Une seconde d'éternité" déstabilise une nouvelle fois avec une tournure inattendue en milieu d'intrigue: pourquoi l'environnement de Mme Ellis est-il bouleversé au retour de sa promenade? Que sont devenues sa maison, sa bonne, sa fille? On pense aussitôt à un bond dans le temps mais l'explication finale est une nouvelle fois surprenante!
Ainsi, le recueil propose des nouvelles très variées mais qui, chacune, entretienne une certaine tension dans le récit. L'imminence d'une catastrophe tient en haleine tout du long et malgré les hypothèses que l'on peut envisager, la chute, insoupçonnable, fascine et dérange à la fois. Daphné du Maurier avait un réel talent pour ce genre fictionnel!
Patricia Deschamps, avril 2021