Ils vivent dans un « terrier ». Les enfants, la mère. Protégés de la lumière du jour qu'ils redoutent. Sales et affamés, ils survivent grâce à l'amour qui les réchauffe et surtout grâce à Aleph, l'immense, le père, qui les ravitaille, les éduque et les prépare patiemment au jour où ils pourront sortir. Parce que dehors, il y a des humains. Parce qu'eux sont des monstres, et que tant qu'ils ne seront pas assez forts pour les affronter, ils n'ont aucune chance.
Mais un jour Aleph ne revient pas, un jour les humains prédateurs viennent cogner à leur porte. Alors, prêts ou pas, il va falloir faire front, sortir, survivre. Pendant ce temps, dans une chambre d'hôpital, un homme reprend conscience. Une catastrophe naturelle sème la panique dans la région. La police, tous les secours sont sur les dents. Dans ce chaos, l'homme ne connait qu'une urgence : regagner au plus vite la maison où on l'attend.
(4e de couverture)
Mon avis :
Au départ, on se demande ce que peuvent bien être ces enfants, Eine l'aînée et son petit frère Jung, pour être qualifiés de monstres. Ont-ils une difformité quelconque, un handicap? Le texte reste habilement évasif, titillant la curiosité sans rien dévoiler. Les points de vue alternent entre les enfants, leur mère Rosemarie, et Aleph leur geôlier. On comprend en effet rapidement que celui-ci séquestre les trois autres contre leur gré, même s'il présente la situation comme une mesure de protection ("Aleph avait raison de les protéger du monde extérieur"). Le quotidien sordide dans le "terrier" se révèle progressivement, tout comme les idées inculquées par Aleph aux jeunes esprits manipulables. Entre deux, de courts contes cruels font écho au récit principal.
Mais voilà qu'Aleph est hospitalisé et le secret éventré (l'intrigue n'aurait pas pu tenir longtemps sinon). Les enfants s'enfuient et maman est prise en charge, ce qui élargit le récit. Avec Eine et Jung qui découvrent le monde, on prend toute la mesure de la folie transmise par Aleph. Avec Rosemarie, auscultée par le Dr Najat Saadi et interrogée par le lieutenant Rousseau (deux femmes, encore plus sensibles à son vécu), on découvre avec horreur les traumatismes subis. Chaque révélation surprend, choque encore davantage que la précédente. On comprend que le monstre n'est pas celui qu'on aurait pu croire ("L'Ogre, cet homme qui l'a privée de son existence", "qui a transformé ses enfants en ce qu'ils n'ont jamais été"). Malgré tout, la jeune Eine regrette son ancienne vie ("J'étais heureuse dans le terrier. Pas ici.")...
C'est une histoire vraiment terrible. Et pourtant pas si incroyable si on s'en réfère à certains faits divers comme l'affaire Fritzl...
Patricia Deschamps, novembre 2021