Les 40 femmes qui peuplent les pages de ce livre ne sont ni polies, ni gracieuses, ni soumises : qu'elles aient accompli des exploits ou bravé la loi, elles ont toutes pris leur destin en main, dépassant la condition que leur réservait leur statut de femmes. Faisant fi des conventions, des diktats imposés à leur sexe, elles ont tout fait pour réaliser leurs rêves et atteindre leurs buts, quitte à faire preuve de violence ou de cruauté, et parfois même à sacrifier des vies.
(4e de couverture)
Mon avis :
C'est en cherchant des informations sur le Dr James Barry que je suis tombée sur ce livre captivant. Ce brillant chirurgien de l'armée britannique au XIXe siècle était en réalité... une femme. Ce n'est qu'à sa mort que l'on s'en est aperçu! C'est parce que le métier est alors interdit aux femmes que Margaret Ann Bulckley se travestit. Personne n'a jamais rien soupçonné même si son petit gabarit et sa voix fluette intriguait. Engagé dans l'armée, James Barry est à l'origine d'importantes réformes sanitaires en Inde et en Afrique, et un ardent défenseur des droits humains (il contribue à améliorer les conditions de vie des soldats). Ce n'est que cent ans après sa mort, et parce que l'armée désire éviter un scandale en maintenant les documents sous scellés, que la véritable identité de Margaret est révélée. Personne intersexe? Transgenre? En tout cas, une personnalité hors du commun!
Emballée par ces informations, j'ai continué à parcourir le livre dont les portraits sont regroupés en quatre grands thèmes. Parmi les autres "maudites", deux ont retenu mon attention: tout d'abord soeur Benedetta, "une sainte pleine de vice et de malice mais douée d'un surnaturel sens du spectacle". Dans l'Italie du XVIIe siècle où le lesbianisme mène au pilori, cette abbesse influente réussit à imposer des sévices sexuels au sein de sa congrégation! Autre récit insolite: celui de Marie Laveau, la voodoo queen de Louisiane qui a inspiré tant de musiciens (Bobby Bare, Chris Thomas King). Cette guérisseuse dont "les rituels étaient un mélange d'occultisme, de magie païenne, de divination et de messe catholique" était "toujours suivie de chats noirs et d'un chien à trois pattes, arborant un serpent borgne nommé Zombie en guise d'étole, couverte de gris-gris", ce qui la rendait "autant crainte que respectée". C'était surtout une brillante femme d'affaires qui a su monter un business florissant sur les croyances populaires!
Le livre me passionne. Les récits sont prenants, la mise en page dynamique et richement illustrée, les portraits alternent les époques et les pays. Je continue donc avec "les sulfureuses". J'apprends que Mérimée s'est inspiré de faits réels pour rédiger Colomba, son histoire de vendetta orchestrée par une femme. Sauf que la véritable Colomba Carabelli est loin d'être une vierge romantique! C'est plutôt "une matrone à la main sanglante" ("La haine était pour elle comme l'air à la vie").
Vient ensuite Clémentine Delait, la vraie femme à barbe! C'est une figure illustre de la Belle Epoque parce qu'elle a choisi de faire de sa différence une force ("J'avais et j'ai toujours une absolue confiance en la vertu de ma barbe"). Elle fait de son système pileux un business et une fierté, ce qui lui valut la célébrité en France et à travers le monde.
De même, Marie Tussaud, la sculptrice de cire du XVIIIe siècle, était "une femme d'affaires d'exception, en avance sur son temps, qui avait compris bien avant l'heure l'importance du marketing".
En remontant au début du livre consacré aux "incontournables", je reconnais Alice Guy, la première cinéaste française, et Nelly Bly, la pionnière du journalisme d'investigation, que j'ai découvertes dans des adaptations BD (par Catel et Bocquet pour l'une, et par Virginie Ollagnier pour l'autre). Par contre je ne savais pas que Nelly Bly avait défié Phileas Fogg en parcourant, seule, le tour du monde en 72 jours! J'ai également découvert, dans le même chapitre, Suzanne Noël, la pionnière de la chirurgie esthétique, qui a réparé les gueules cassées au sortir de la Grande Guerre comme les employées virées parce qu'elles prenaient de l'âge ("Suzanne avait compris avant les autres que cette chirurgie répond à une détresse physique autant qu'intérieure").
Et on termine avec "les inconnues"... Comme Beate Sirota Gordon, la seule femme choisie par le général MacArthur en 1946 pour poser les bases de la nouvelle Constitution japonaise. Elle y a rédigé, alors qu'elle n'a que 22 ans mais une excellente connaissance de la langue, la section consacrée aux droits des femmes qui n'en avaient pour ainsi dire aucun au Japon à l'époque. Cette "Olympe de Gouges du Pacifique" a obtenu le consentement mutuel pour le mariage, le droit à l'héritage et à la propriété, le droit au travail salarié... Une véritable révolution! Elle a par la suite contribué à faire connaître la culture nippone aux Etats-Unis (haïkus, nô, cérémonie du thé, etc.).
J'ai aussi beaucoup aimé le portrait de Bertha Benz, la première personne à effectuer une longue distance dans une automobile (en 1888). Epouse de l'ingénieur allemand Carl Benz, elle croit en l'invention de celui-ci (une sorte de chariot décapotable à trois roues propulsé par un moteur à explosion) et décide de frapper un grand coup. Son mari est trop frileux pour assurer un bon marketing? Qu'à cela ne tienne, elle prend le volant, embarquant leurs deux fils pour une virée. Malgré les nombreux problèmes techniques (dont elle vient à bout!), elle parcourt 106 km! Suite à ce projet audacieux (et aux améliorations techniques de son mari), le grand public adopte progressivement la voiture. Merci Bertha!
Voici donc un petit aperçu de toutes les femmes admirables que vous trouverez dans ce documentaire, qu'elles se soient battues pour leurs droits ou qu'elles aient contré les préjugés sexistes en prouvant les capacités du sexe dit faible. A nous aujourd'hui de prendre la relève!
Patricia Deschamps, mars 2023