Les carcérales

de Magali WIENER

- Si tu laisses le désespoir s'installer, tu ne te donnes aucune chance.

- La prison, c'est une chance ? J'ai rien à saisir ici.

- Non, mais c'est ton quotidien. Aujourd'hui, tu y es. Trouve la force de la combattre.

Milan, 2010, 273 p. (Macadam)
Milan, 2010, 273 p. (Macadam)

C’est le 21 juin et la soirée s’annonce bien pour Rodrigues. Il va voir chanter Aurélie dans le groupe de rock Nuit rouge. Il l’aime et il est persuadé que la jeune fille n’est pas indifférente à lui non plus.

 

Aussi, lorsque la soirée se prolonge, ils s’enfoncent tous les deux dans un square. Rodrigues fait l’amour avec Aurélie.

 

Le lendemain, le cauchemar commence. La police vient le chercher à son domicile car Aurélie accuse l’adolescent de l’avoir violée. Rodrigues, lui, est convaincu de n’avoir pas commis ce viol.

Mon avis :

Quand un malentendu conduit au drame.

Accusé de viol par la fille avec qui il a passé la soirée, Rodrigues ne comprend rien à ce qu'il lui arrive, persuadé d'être innocent. Pour lui, c'est l'enfer qui commence : d'abord les interrogatoires - par le médecin, la police ("Interroger égale déstabiliser. Méthodes de flics."), son avocate, les éducateurs, le juge d'instruction... L'auteur déroule la procédure judiciaire de manière très réaliste et le ton, percutant avec ses phrases brèves, souvent nominales, évoque bien le choc ressenti par l'adolescent. Mais chaque fois la conclusion est identique : "C'est votre parole contre la sienne." Pour Rodrigues, qui n'a jamais eu l'intention de faire du mal à Aurélie, qui était persuadé qu'elle partageait son désir, "leur vérité n'est pas la mienne"...

 

Cependant les preuves sont accablantes et le voilà en prison dans l'attente de son procès. Treize mois de détresse racontés au jour le jour, "sous le choc d'une incarcération" qu'il ne pense pas mériter ("Je suis innocent."), à tenter de survivre physiquement ("Il faut apprendre à se défendre pour se faire une place dans la meute.") et mentalement ("Qui est quelqu'un, ici, quand il n'a plus rien, quand il a tout perdu?"). Si c'est Aurélie que l'on pose en victime, Rodrigues se sent aussi "sale à vie" et le choix d'adopter son point de vue est en cela judicieux puisqu'il permet d'exprimer une souffrance masculine rarement évoquée (quand elle existe) : "Vous croyez qu'après cet événement, il va savoir aimer une femme ? Comment fera-t-il pour savoir si elle veut ou pas ? Parce que ce soir-là, il était sûr qu'elle voulait et son erreur lui a coûté les assises."

 

Rodrigues "a besoin de réfléchir sérieusement à ce qu'il a fait" et c'est un de ses compagnons de cellule qui va l'y amener. Wall est son soutien à l'intérieur, tout comme il peut compter, entre autres, à l'extérieur, sur son entraîneur de natation et son père l'aventurier protecteur de tortues, même si seule sa mère lui rend visite au parloir. D'ailleurs celle-ci n'est pas d'un grand réconfort, trop préoccupée par son propre chagrin et surtout par le "qu'en dira-t-on" ("Je voudrais qu'elle se soucie de moi."). On voit donc Rodrigues dépérir au fil des mois ("Je suis vide. Mort."), malgré son entourage qui tente de lui maintenir la tête hors de l'eau.

Le procès, au déroulement très documenté lui aussi, conclura sans surprise à la responsabilité partagée, les jurés considérant, sans minimiser les faits, que l'adolescent s'est trouvé "piégé parce qu'il est naïf et inexpérimenté". Malgré tout Aurélie et lui resteront longtemps marqués par cette épreuve car "l'âme ne se répare pas. Abîmé(e), je resterai"...

Mars 2018


Retrouvez Takalirsa sur Facebook, Babelio, Instagram  Youtube, Twitter et Tik Tok

Making of d'une chronique