"Mon honneur s'appelle fidélité." S'enfuir c'est trahir. Désobéir c'est trahir. Et trahir chez le SS, c'est mourir !
11 octobre 2009. Marcel Grob, un vieil homme de 83 ans, se retrouve confronté à un juge d'instruction qui l'interroge sur son passé. Et plus particulièrement sur le 28 juin 1944, jour où ce jeune Français de 17 ans fut intégré à la Waffen SS comme 10 000 de ses camarades alsaciens.
Mais Marcel était-il pris au piège des nazis, ou engagé volontaire ? Était-ce un "Malgré-nous", ou un criminel de guerre ? Le magistrat traque la vérité de ce passé trouble. Et pour le convaincre de son innocence, Marcel va devoir se replonger dans ses douloureux souvenirs.
(4e de couverture)
Mon avis :
C'est ma collègue d'histoire qui m'a fait découvrir cette excellente bande dessinée faisant envisager la Seconde Guerre mondiale sous un angle particulier : celui des Alsaciens ballottés depuis des générations entre la France et l'Allemagne.
Né en 1926, Marcel est français (ce sont les Alsaciens nés entre 1870 et 1918 qui ont la nationalité allemande) mais à partir de l'été 1942 les pressions sont énormes pour que les Alsaciens et les Lorrains incorporent l'armée du Reich. Dès les premières pages dans le bureau du procureur, on comprend que rien n'est simple pour celui qui, au fil des années, s'est trouvé prénommé Marcel ou Marzell ("C'est mon histoire, c'est aussi l'histoire de la France."). Le flashback se fait dans de magnifiques couleurs sépia, aux dominantes tantôt chaudes ou froides en fonction des scènes - l'une d'elles, sous la neige, est même dans un beau contraste noir et blanc.
Ils sont trois amis à être embarqués ce jour-là. Comme Marcel, Antoine obéit par peur des représailles : la menace plane en permanence d'être fusillé ou que l'on déporte/fusille sa famille... Une anecdote nous apprendra d'ailleurs plus tard qu'un grand footballeur alsacien, engagé contre les nazis, a été implacablement traqué : "On a fini par l'attraper à Marseille et l'expédier sur le front russe" (où il est mort)... Stanislas, lui, a hâte de "botter le cul des rouges sur le front de l'est" justement, mais il va vite déchanter. Si le tatouage de leur groupe sanguin rend les Waffen SS "prioritaires pour les transfusions", il permet aussi d'identifier facilement chacun d'eux en cas de fuite ou de prise par l'ennemi... Au combat, les Alsaciens ouvrent la marche, "comme ça on choppe les mines en premier"... A Marzabotto en Italie, on les oblige à tuer des civils ("Lance ta grenade, foutre dieu!") : ce massacre "le plus meurtrier perpétré par les nazis en Europe occidentale" va freiner tout enthousiasme guerrier ("dire que j'en étais fier") et même traumatiser ces jeunes soldats à vie ("On ne se sort jamais de ça")... Le dessin est précis, notamment dans le rendu des visages, ce qui accentue le côté authentique et émouvant des épisodes racontés.
Non rien n'est simple, rien n'est tranché dans ce conflit. J'ai apprécié que pour une fois un officier nazi soit présenté sous un jour sympathique : Herr Untersturmführer, homme cultivé et bienveillant, est une sorte de protecteur pour Marcel tout au long de ces années difficiles. A Marzabotto, l'officier laisse une femme et ses enfants s'enfuir ("Tuer un gamin, c'est tuer l'humanité qui est en vous") et il a les larmes aux yeux chaque fois qu'il perd un homme. A l'inverse, le procureur qui interroge le Marcel présent fait preuve de mauvaise foi ("Votre procédure rime avec dictature!"). Mandaté par les familles des victimes "pour juger les derniers criminels de guerre nazis", il se montre désagréable, doté "d'idées arrêtées", et ne fait guère preuve d'objectivité (on comprend pourquoi à la fin). Une seule chose est sûre pour Marcel : "Vous n'êtes pas en mesure de décider du destin de qui que ce soit, pas même du vôtre"... qui semble malheureusement "condamné d'avance".
Patricia Deschamps, novembre 2018