C'est pas les premiers, et ce sera pas les derniers, hélas.
Pendant des mois, Mona s’est efforcée d’être invisible aux yeux de tous, de s’effacer. Mais le jour où son petit frère Justin a été pris d’une forte fièvre, elle a dû le conduire en urgence à l’hôpital. Sans cela, cette histoire aurait pu ne jamais commencer. Mona n’aurait pas grillé ce stop, les gendarmes ne l’auraient pas arrêtée. Quand ils découvrent une fille un peu trop jeune au volant, ils décident de percer le secret de Mona.
(4e de couverture)
Mon avis :
Le récit est judicieusement construit comme une enquête et le suspense qu'il génère atténue un peu la dureté de la situation décrite. Mona et sa mère Christelle vivent dans une détresse financière et sociale difficilement supportable et l'histoire est touchante: on oublie trop souvent que leur quotidien est celui de bon nombre de foyers en France... Les points de vue alternent entre celui, extérieur, des gendarmes et des différents témoins qu'ils interrogent, et celui, interne, de Mona. L'adolescente raconte sa relation avec sa mère, des flashbacks expliquant comment elles en sont arrivées là, et le puzzle se met en place progressivement.
Si Christelle Chevalier a ses torts (elle gère mal son compte bancaire, collectionne les relations sentimentales désastreuses, est accro aux tickets à gratter), on comprend surtout que la spirale descendante menant à la misère peut toucher n'importe qui. Le chômage, les soucis d'argent, les frais de route quand on s'isole à la campagne pour ses loyers modérés, la maladie, la dépression... "On était dans une telle merde" que l'on finit par renoncer à se battre.
Face à cette mère démissionnaire qui n'a même pas le courage de s'occuper de son bébé, Mona apparaît particulièrement courageuse et responsable ("Des fois, je me demande qui c'est la mère et qui c'est la fille"). C'est son petit frère Justin qui est la source de sa détermination. Très mûre pour son âge ("C'était elle l'adulte"), la jeune fille prend tout en charge à la maison, consciente que ses parents "ont pas eu de chance" autrefois avec leur hôtel à Dreux, et que sa mère aujourd'hui "méritait pas ça". Mais à 17 ans, Mona n'échappe pas au sentiment de solitude et à la colère aussi de "porter la famille à bout de bras". Heureusement il y a son amie Solène.
En écoutant les dépositions du voisinage, on est partagé. Tout le monde constate qu'effectivement, cela fait un moment que Mona se présente seule avec son petit frère, mais personne ne l'a signalé ("Ca nous a pas paru tellement bizarre"). Certes la plupart des gens aujourd'hui sont indifférents au sort de leurs voisins ("Qu'est-ce que vous vouliez que j'y fasse?"), mais d'un autre côté, il faut savoir respecter leur intimité: Mona faisait tout pour passer inaperçue, pour éviter les questions et les intrus. Le témoignage final la montrera d'ailleurs sous un autre jour...
Ainsi, si l'on peut trouver dans un premier temps que la situation de l'héroïne est bien (trop) sordide, le récit est construit et amené de sorte qu'il devient rapidement prenant, et l'incrédulité laisse finalement place à un sentiment de solidarité envers ceux qui la subissent, mais aussi tous ceux (services de police, de justice, sociaux) qui la combattent quotidiennement avec si peu de moyens.
Patricia Deschamps, février 2021
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