Si je devais disparaître en mission de guerre, ce serait bien parce que tel était mon destin.
31 juillet 1944.
Le célèbre écrivain Antoine de Saint-Exupéry fait partie de l'escadrille de reconnaissance française basée en Corse. Son rôle consiste à piloter un avion d'observation afin de photographier pour l'armée des zones sensibles.
A 44 ans, Saint-Exupéry est considéré comme "le plus vieux pilote de guerre au monde" par ses co-équipiers : miraculé de plusieurs crashs, il est fatigué et mal en point, ce qui ne l'empêche pas de monter à nouveau dans son avion ce matin-là.
Mais au même moment, un jeune pilote de la Luftwaffe, Horst Rippert, s'envole dans son Messerschmitt pour sa propre mission : prendre en chasse les avions alliés...
Mon avis :
L'émouvant rendez-vous du célèbre écrivain avec la mort.
C'est un homme courageux et déterminé que l'on découvre dans ce court roman, vaguement résigné aussi : "Aux yeux de tous les quidams qu'il croisait à cette époque, ce pilote était un grand type fatigué, mais nimbé de l'aura de mystère des hommes célèbres qui ont beaucoup vécu, et de ces écrivains qui savent inventer des histoires incroyables qui font rêver le monde entier." Il en résulte une drôle d'atmosphère, entre fatalité face à ce qui va arriver (avec ce sentiment que Saint-Exupéry s'y attendait), et respect admiratif de l'auteur (Arthur Ténor) pour cet homme "qui cumulait les singularités et les expériences". On sent que Ténor est passionné par le personnage, qu'il s'est documenté, car il ne se contente pas de relater ce dramatique épisode : le récit est enrichi ici et là d'éléments biographiques et surtout de nombreuses références au Petit Prince qui reste l'oeuvre majeure de l'écrivain.
Pour beaucoup, "cet homme est une énigme". Méditatif, il est souvent "ici et ailleurs, sans doute entre ciel et terre...", réflexions qu'il livre dans Citadelle, son manuscrit inachevé confié la veille du vol fatidique à René Gavoille, son chef d'escadrille et ami, ce qui fait dire à ce dernier que "ce geste ressemblait davantage aux adieux d'un suicidé". La théorie semble cependant exagérée : Saint-Exupéry n'a-t-il pas plutôt voulu "choisir sa manière de vivre, y compris ses derniers instants", exprimant le "cher désir de mourir entre ciel et terre, plutôt que vieux corps malade" ? Car l'homme est connu pour son refus de rester "enfermé dans une vie sans danger, sans aventure, autant dire sans rêve", "chacun savait que c'était dans l'action et le vol qu'il se sentait vraiment lui-même". Perclus de douleurs, le bras gauche quasi paralysé, sujet à des migraines et des vertiges, il se sait épuisé physiquement. Moralement aussi, puisque l'avenir du monde lui fait peur.
En face, ironie du sort, un Allemand qui vénère Vol de nuit, le roman de Saint-Exupéry "à qui il devait sa passion pour l'aventure aérienne"... Quand il réalisera l'identité de sa "cible", le traumatisme est tel qu'il se taira sur l'événement des années durant. Le roman évoque en effet toute l'angoisse de l'escadrille dans les heures qui ont suivi le retour attendu du pilote, et aussi tout le mystère qui a entouré sa mort. Il aura fallu des années de recherche pour l'élucider : si je me souviens très bien de l'épisode de la gourmette retrouvée en Méditerranée, je ne savais pas qu'elle avait permis de remonter jusqu'à Rippert, poussant celui-ci aux aveux à 88 ans. La révélation finira de confirmer la mort du célèbre écrivain même si "un tel homme était immortel, du moins le resterait-il dans la mémoire des hommes".
Avril 2017