Le joueur d'échecs

roman de Stefan ZWEIG (1881-1942)

En septembre 1941, Stefan Zweig, fuyant le régime nazi, s'installe à Petropolis au Brésil. C'est là qu'il achève en quatre mois (les derniers jours de sa vie) le manuscrit du Joueur d'échecs. Cette nouvelle apparaît comme un prolongement romancé, à travers le personnage du docteur B., de son autobiographie rédigée un an plus tôt.

 

Très profondément affecté par l'extension mondiale de la guerre et très pessimiste quant à son issue, Zweig se donne la mort avec son épouse le 22 février 1942 dans sa maison de Petropolis. La veille, il a envoyé trois exemplaires du Joueur d'échecs à ses éditeurs. Celui-ci est publié à titre posthume en 1943.

Texte : Hatier, 2015 (Classiques & cie collège)

 

A noter : Biographie complète de l'auteur sur la page consacrée à Lettre d'une inconnue

Paradoxalement, plus l'homme se limite dans un monde fini,

plus il se déploie vers l'infini.

Hatier, 2015, 159 p. (Classiques & cie collège)
Hatier, 2015, 159 p. (Classiques & cie collège)

 

Un paquebot fait le voyage entre New York et Buenos Aires au début des années 1940. A son bord, le champion du monde d'échecs, Mirko Czentovic, que le narrateur de la nouvelle cherche à tout prix à rencontrer.

 

Grâce à McConnor, un passager fortuné, une partie d'échecs est organisée entre le champion et un groupe de passagers prêts à l'affronter. Alors que le groupe est sur le point de perdre, un nouveau venu intervient, le docteur B., et sauve la partie...

Mon avis :

Enthousiasmée par la relecture de Lettre d'une inconnue, j'ai voulu me replonger dans la nouvelle qui m'a fait connaître et apprécier Stefan Zweig. C'est avec grand plaisir que j'ai redécouvert le texte !

Tout commence avec l'histoire de l'énigmatique Mirko Czentovic, cet enfant "quasi analphabète" qui va se révéler dans les échecs, ce "paysan prodige" devenu champion du monde. Fasciné par "les mécanismes psychiques et mentaux" de ce personnage taciturne, le narrateur tient absolument à le rencontrer. Mais le véritable mystère sur ce paquebot, c'est le docteur B.

 

Car Czentovic n'est en réalité rien de plus que ce qu'il paraît : un être grossier et hautain, désagréable avec tout le monde, cupide (il fait payer la partie d'échecs aux passagers) et méprisant (il se croit imbattable). Or le docteur B. va ébranler l'échiquier : "Un inconnu avait soumis le champion du monde". Amené à raconter au narrateur comment il en est venu à maîtriser les échecs, il va dévoiler un parcours autrement plus fascinant que celui du champion en titre. Victime de la torture psychologique des nazis qui l'isolent pendant des mois afin de lui "extorquer du renseignement", il ne doit son salut qu'à la découverte d'un manuel d'échecs ("Un LIVRE !"). Les passages où le docteur B. raconte les affres de la claustration sont particulièrement émouvants ("Ainsi le néant emmura-t-il mon être et mon corps").

 

Au fil du récit se dessine un contraste de plus en plus prononcé entre les deux protagonistes. A l'opposé de Czentovic, le docteur B. n'a, à la base, aucun attrait pour les échecs : il s'agit juste de s'occuper l'esprit pendant la réclusion, pour des raisons de survie psychologique. Pour lui les règles sont laborieuses à intégrer, cependant c'est un homme curieux et enthousiaste (amoureux d'art, passionné de culture, tandis que Czentovic n'est que froideur et ignorance). Enfin, parce qu'il ne dispose pas de matériel, le docteur B. est obligé d'intérioriser l'échiquier et les pièces, alors que le champion, qui a "un manque cruel d'imagination" est incapable de "jouer à l'aveugle" ! Ainsi, le véritable maître ès échecs n'est pas celui qu'on croit ("Il réfléchissait cent fois plus vite que Czentovic")...

 

Mais voilà : les circonstances toutes particulières dans lesquelles s'est construit cet art ne sont pas sans conséquences... Si les échecs ont eu, dans un premier temps, un rôle salvateur, celui-ci est vite devenu destructeur. Obnubilé par le jeu, le docteur B. a bien failli tomber dans la folie, à cause notamment de l'attitude schizophrénique des parties imaginaires jouées contre lui-même. Et comme toute passion, cette "fièvre du jeu", cette "intoxication aux échecs" a un aspect addictif qui peut devenir obsessionnel. Et puis au-delà du jeu, c'est un message bien plus pessimiste que l'auteur nous livre : cet homme-là ne se remettra jamais vraiment de ce qu'il a subi pendant la guerre...

Patricia Deschamps, août 2017

voir les premières planches
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L'adaptation BD de David SALA

 

Mon avis (★★★★) : Au départ le dessin surprend. Il est chargé, dense, avec des couleurs un peu vieillottes qui intensifient les volumes. Certains personnages semblent presque difformes avec leurs épaules extra larges et leurs têtes proéminentes. Mais l'adaptation est réussie et on se laisse vite prendre par ces vignettes exprimant très bien les différentes émotions par lesquelles passe le docteur B. lors de son enfermement. Ici, une enfilade de plans quasi identiques signifie la monotonie et l'ennui. Là, une série de gros plans dégage oppression puis obsession ("Ces idées tournaient et tournaient dans ma tête."). On sent monter la folie, inéluctablement. Les extraits de texte sont bien choisis, pas trop longs. Ainsi, même en ayant relu le roman récemment, j'ai trouvé très agréable de parcourir cette adaptation !

Patricia Deschamps, mars 2018

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