Il faut que tu comprennes que je ne veux que ton bien.
1936. Pierrot est un petit Parisien de sept ans, de père allemand et de mère française. Depuis que son père, traumatisé par la Grande Guerre, s'est jeté sous un train, il vit modestement mais heureux avec sa mère. Mais voilà que celle-ci décède à son tour de la tuberculose.
Désormais orphelin, Pierrot est envoyé en Autriche chez sa tante Beatrix qui est gouvernante.
L'homme pour qui elle travaille s'appelle Hitler et la résidence en pleine montagne où il loge est sa résidence secondaire, le Berghof...
Mon avis :
Voici "l'histoire d'un garçon dont le cœur était rempli d'amour et de droiture mais que le pouvoir avait corrompu"...
Comme Le garçon en pyjama rayé, le récit adopte le point de vue naïf d'un petit garçon. Si j'ai trouvé l'intrigue longue à démarrer (l'auteur prend le temps d'expliquer la violence et l'alcoolisme du père dépressif : "ces images qui tournent en boucle dans ma tête", puis le passage à l'orphelinat), elle devient captivante à partir de ce passage dans la gare de Mannheim en Allemagne où Pierrot est confronté pour la première fois aux nazis, ressentant un mélange de peur et d'admiration : "Il ne put s'empêcher d'être impressionné", notamment par l'uniforme (qui lui rappelle celui de son père).
Et voilà le jeune héros au Berghof, propriété isolée "au sommet d'une montagne", en compagnie d'une poignée de domestiques et de "Monsieur" (qu'il n'identifie pas tout de suite comme Hitler) et "Madame" (Eva Braun). Impressionné ("il n'avait jamais rien vu de pareil"), il accepte malgré lui qu'on le "rende un peu moins français et un peu plus allemand" : prénom, coupe de cheveux, vêtements, interdiction d'évoquer son meilleur ami juif Anshel, voici Pierrot transformé en Pieter avec pour instruction "Il serait préférable que tu ne parles pas du tout de ton passé". Et peu à peu, ce garçonnet qui "détestait toute forme de violence" intègre les nouvelles instructions liées à cet homme dont "tout le monde semblait terrorisé", agissant beaucoup par mimétisme : "Il ne t'arrive jamais de te dire que tu préférerais être une brute qu'une victime ?".
Les années s'écoulent (on suit Pierrot jusqu'à la défaite allemande en 1945) et l'on voit littéralement évoluer l'adolescent au contact du Führer avec qui il passe beaucoup de temps. Salut, idéologie ("je préfère les races pures", "rendre à l'Allemagne sa grandeur"), déclaration d'adhésion aux Deutsches Jungvolk puis aux Jeunesses hitlériennes, Pieter se métamorphose en nazi miniature, flatté par "le sentiment d'importance" que lui donnent ses titres honorifiques et les responsabilités confiées par Hitler. Évoluant dans un "quasi-isolement", captivé par ce "gentleman" qu'il ne souhaite pas décevoir, imitant son attitude autoritaire et méprisante, le jeune homme n'a "plus rien à voir avec le garçon qu'il était en arrivant". "Il est en train de devenir l'un d'entre eux", se désole sa tante qui voulait avant tout le protéger : "J'ai fait une terrible erreur en t'amenant ici", "Est-il donc si facile de corrompre un innocent ?". Car Pieter est devenu horripilant, arrogant, pire, il se fait l'auteur d'actes de délation et d'ignominie impardonnables. L'un des points forts de ce livre, c'est que le style évolue avec le personnage, collant parfaitement à son état d'esprit en fonction de son âge.
L'épilogue relate ce qu'il advient de Pieter après la découverte du Berghof par les Américains. Il lui faudra des années d'errance et de réflexion pour analyser son attitude durant cette période traumatisante, avec en écho ces paroles essentielles de Beatrix : "Ne fais jamais semblant de ne pas savoir ce qui se passait au Berghof. Ce serait le pire de tous les crimes".
Patricia Deschamps, mai 2017