Le domaine

roman de Jo WITEK

Dans la nature comme dans le monde des hommes, il fallait survivre. Apprendre à s'en sortir, qu'on soit une fleur, une liane, un arbre de trente mètres ou un garçon de seize ans. Et la force physique comme l'intelligence n'étaient pas forcément des atouts.

Actes sud junior, 2016, 327 p. (Romans ado thriller)
Actes sud junior, 2016, 327 p. (Romans ado thriller)

Gabriel accompagne sa mère embauchée pour l'été comme domestique dans la propriété bourgeoise du comte et de la comtesse de La Guillardière. Les marais et les kilomètres de landes qui entourent le domaine sont une promesse de bonheur pour cet adolescent passionné de nature et d'ornithologie.

 

Pourtant, dès son arrivée, l'atmosphère de la demeure déclenche chez lui des pulsions incontrôlées de colère, de désir, de jalousie. Et quand les petits-enfants des propriétaires débarquent, avec parmi eux la belle et inaccessible Eléonore, Gabriel ne maîtrise plus ses émotions...

 

Désormais, c'est eux et surtout elle qu'il observe à la longue-vue. Désormais, le fils de la domestique est prêt à tout pour la séduire...

 

Texte : service de presse

Mon avis :

Peut-être parce que l'auteur l'a écrit dans une résidence d'écrivain au cœur des Landes, ce roman est avant tout un livre à l'ambiance prégnante. Avec Gabriel, la nature est omniprésente. "Solitaire, cultivé et sensible", l'adolescent est une sorte de "garçon sauvage" qui passe des heures tapi à observer les animaux - surtout les oiseaux - ce qui fait de lui quelqu'un de bien différent des jeunes de son âge ! Mais ce qu'il véhicule surtout à travers sa passion, ce sont des valeurs qui semblent en perdition dans notre société actuelle : l'émerveillement face à notre environnement, la patience et l'observation de ce qui nous entoure, le respect face à la vie quelle qu'elle soit. Des valeurs aux antipodes de la famille La Guillardière.

Cette famille aristocratique ne jure que par l'argent, "le sentiment de puissance et de domination". Faisant perdurer un "manège suranné" de traditions pesantes, le comte et sa femme se délectent à maintenir chacun dans son rôle et à sa place, ce qui révolte Gabriel aux origines réunionnaises : "T'es domestique, fille de domestique, petite-fille de domestique et arrière-arrière-arrière-petite-fille d'esclaves. Ça me rend dingue ! On n'en finira jamais. Le monde n'évolue pas, maman..." Un monde de faux-semblants ("Tous le mettaient mal à l'aise dans cette propriété") qui lui donne d'autant plus envie de se réfugier dans "ces endroits préservés de l'inconstance de la modernité". Gabriel fait l'effet d'un être pur dans ce milieu corrompu, "cette sinistre demeure où finalement tout le monde avait quelque chose sur la conscience".

 

Dans cette première partie, on ne sait pas trop où l'auteur veut nous mener. On se laisse bercer par l'atmosphère contrastée du domaine et voilà tout. Et puis débarquent Éléonore et ses cousins : changement de registre, Gabriel modifie radicalement son attitude, on ne reconnaît plus notre "homme des bois" dans cet adolescent au comportement malsain, et surtout on se désespère de le voir renoncer à ce qu'il est au nom de l'amour. Il faut attendre la scène de la palombière pour que l'intrigue reprenne de l'intérêt. En dévoilant progressivement la détresse enfouie d'Eléonore, l'auteur fait un joli parallèle entre les oiseaux et les hommes : "Nous ne savons plus protéger les espèces fragiles".

 

Dans la dernière partie, revirement de situation : on passe en mode polar suite à un terrible événement, que l'on pressentait mais, coup de théâtre ! qui n'est pas celui attendu. C'est donc un roman à la fois contrasté et inattendu que l'on quitte, un roman qui laisse un goût d'amertume car, malgré la tragédie, "ça ne changera rien, eux ne changeront pas" et surtout, on doute que le pauvre Gabriel, profondément meurtri dans son cœur et ses convictions si "nobles", redevienne celui qu'il était avant... 

Patricia Deschamps, décembre 2016


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