"Tout amour comporte sa jeunesse, son âge mûr, sa vieillesse. Etais-je à ce dernier stade où déjà l'amour ne me satisfaisait plus sans certaines recherches ?"
Un jeune homme de 15 ans rencontre une jeune femme, Marthe, 18 ans, qu'il séduit et dont il devient l'amant. Histoire banale, sauf que l'action se situe en 1917, et que la jeune femme est l'épouse d'un soldat au front... Le roman de Radiguet fit un scandale à sa parution en 1923.
(4e de couverture)
Mon avis :
Attention titre trompeur! Le sujet est certes scabreux pour l'époque, mais il est traité dans un style classique, sans aucune sensualité, et le langage très soutenu le destine à de bons lecteurs.
Le début ressemble à un témoignage de la Grande Guerre (que l'auteur a connue, d'ailleurs l'histoire est inspirée d'une anecdote personnelle) vue de l'arrière. Pour le héros, encore adolescent, celle-ci ressemble à "quatre ans de grandes vacances" même si elle est omniprésente au quotidien.
Mais dès lors qu'il rencontre Marthe, le conflit, dédaigné, n'est plus lors qu'un bruit de fond - et c'est en partie là que réside le scandale de l'œuvre à sa sortie.
Cette liaison avec Marthe est tout d'abord associée à l'école buissonnière, à une forme de liberté, légère et plaisante. L'amour viendra plus tard, et encore, on se demande tout au long du récit si le narrateur aime véritablement la jeune femme. Ils ne semblent jamais d'accord, n'ont aucun point commun. Cela ressemble à une rencontre de circonstances, entretenue par ennui, même si à force de la fréquenter, le jeune garçon s'attache à Marthe. Peut-être est-il plutôt attiré par ce qu'elle représente... Elle est un peu plus âgée que lui (il est mineur), fiancée puis épouse d'un soldat au front, dispose donc seule du logement conjugal. Elle représente le charnel à venir, l'interdit, le secret, l'oisiveté.
Il semble tenir à elle et pourtant il se montre souvent cruel, la contredisant, lui tenant tête, lui imposant sa volonté, lui refusant ce qu'il sait lui faire plaisir. Peu de tendresse chez ce garçon égoïste, égocentré sur ses propres émotions qu'il se plaît à analyser. C'est donc sans surprise qu'à l'armistice, cet amour contrarié par la guerre et les conventions sociales finit par s'éteindre, même si cette fin est précipitée par un drame inattendu: "L'ordre, à la longue, se met de lui-même autour des choses"...
Patricia Deschamps, octobre 2023