Nul n'est plus arrogant à l'égard des femmes, agressif ou dédaigneux, qu'un homme inquiet de sa virilité.
"Nous commencerons par discuter les points de vue pris sur la femme par la biologie, la psychanalyse, le matérialisme historique. Nous essaierons de montrer ensuite positivement comment la "réalité féminine" s'est constituée, pourquoi la femme a été définie comme l'Autre et quelles en ont été les conséquences du point de vue des hommes. Alors nous décrirons du point de vue des femmes le monde tel qu'il leur est proposé ; et nous pourrons comprendre à quelles difficultés elles se heurtent au moment où, essayant de s'évader de la sphère qui leur a été jusqu'à présent assignée, elles prétendent participer au mitsein humain."
(1949)
Mon avis :
Depuis le temps que je lis sur les droits des femmes, il devenait indispensable que j'ajoute à ma bibliographie LA référence à l'émancipation féminine régulièrement citée dans mes lectures !
Ce qui m'a le plus marquée, c'est la masse de connaissances hétéroclites de Beauvoir. S'évertuant à définir "qu'est-ce qu'une femme ?" et analysant les origines de l'inégalité avec l'homme, elle décortique avec force détails les domaines de la biologie et de la psychanalyse freudienne aussi bien que les contextes historique et socio-économique à travers les époques, les cultures et les pays, s'appuyant sur des références précises et exhaustives. C'est presque trop, parce qu'elle rentre dans des exposés si développés que l'on décroche parfois. D'un autre côté, elle fonde son raisonnement sur des données solides qui le rendent incontestable, et puis les femmes des années 1940 n'avaient certainement pas le même niveau d'instruction que nous aujourd'hui.
Simone de Beauvoir insiste sur le fait que la condition de la femme a toujours été injustement tributaire de son corps, et plus précisément du caractère subi de la grossesse qui l'asservit et la rend inapte à certaines activités la majeure partie du temps tandis que le travail domestique l'empêche "de prendre part dans une grande mesure sociale à la production". Or cette émancipation dépend pleinement de la perception qu'en a la société dans laquelle elle évolue. La femme a trop souvent été réduite à une "femelle". Si l'on s'attache à comprendre "comment la hiérarchie des sexes s'est établie", on se rend vite compte que "l'idéologie chrétienne n'a pas peu contribué à l'oppression de la femme" et surtout qu'elle a été relayée au fil des siècles. Au Moyen Age, "l'amour courtois était une compensation à la barbarie des mœurs officielles". Si dans les familles paysannes les époux sont égaux... dans la pauvreté, dans les milieux mondains "la situation des Françaises a été un peu plus favorables". L'auteur évoque notamment toutes les femmes de lettres et artistes ayant, à leur manière, participé à l'évolution des mentalités. Mais en réalité, "c'est par le travail que la femme a conquis sa dignité d'être humain" même si "ce fut une conquête singulièrement dure et lente". Là encore les références foisonnent et Beauvoir impressionne par l'étendue de sa culture.
J'ai trouvé la seconde partie, consacrée aux mythes, moins intéressante parce qu'elle répète beaucoup les constatations de la première. Une fois encore, on imagine très bien que le style, très cru (phallus, coït...), devait choquer à l'époque ! Beauvoir y liste toutes les symboliques, positives comme négatives (que de superstitions!), que l'homme projette sur la femme en puisant essentiellement dans la littérature. Elle détaille notamment la vision de la femme qui se dégage de l'oeuvre de cinq écrivains : Montherland, D.H. Lawrence, Claudel, Breton et Stendhal, ce qui n'a d'intérêt selon moi que si l'on connaît ces textes. La femme "tour à tour se déguise en mégère, en nymphe, en étoile du matin" mais ces analyses conduisent toujours aux mêmes conclusions : "En définissant la femme, chaque écrivain définit son éthique générale et l'idée singulière qu'il se fait de lui-même". Autrement dit, l'homme revient toujours à sa petite personne ! Pas vraiment de conclusion à la fin de l'ouvrage qui se poursuit dans un deuxième tome mais "ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui il est très difficile aux femmes d'assumer à la fois leur condition d'individu autonome et leur destin féminin"... La résolution entre aperçue en filigrane dans ce long essai résiderait bien évidemment dans la complémentarité des deux sexes (plutôt que dans la hiérarchie ou l'opposition), la femme cherchant tout simplement à être "avec l'homme". Cependant "ce qu'il faut espérer, c'est que de leur côté les hommes assument sans réserve la situation qui est en train de se créer ; alors seulement la femme pourra vivre sans déchirement".
Patricia Deschamps, février 2019