Powell saisit le "Manuel de la robotique" et l'ouvrit avec respect. Il avait une fois sauté par la fenêtre d'une maison en feu, nanti de son seul short et du Manuel. Pour un peu, il aurait oublié le short.
Susan Calvin est robopsychologue à l'United States Robots, Inc. Née en 1982, elle a aujourd'hui 75 ans.
Ce livre relate ses souvenirs sur l'évolution du robot dans l'histoire humaine, depuis Robbie qui, en 1996, fut vendu comme bonne d'enfants, jusqu'à Byerley qui devient président de la Fédération mondiale terrestre en 2044.
A travers ces récits, on voit comment le robot, d'abord esclave soumis à l'homme, parvient peu à peu à être son égal, avant de devenir son maître.
Mon avis :
Comme je fais faire des exposés sur la robotique aux élèves de 3e dans le cadre des cours de technologie, j'ai entrepris de constituer, en complément, un corpus de lectures à leur proposer sur ce thème. Asimov en étant le maître SF incontesté, il était indispensable qu'il figure dans cette sélection!
Dans ce premier tome du "Cycle des robots", la doyenne de l'entreprise U.S. Robots, la robopsychologue Susan Calvin, raconte des anecdotes sur sa carrière. L'oeuvre est donc constituée de plusieurs nouvelles évoquant différentes générations et utilisations de robots. L'histoire qui ouvre le recueil est celle, émouvante, de Robbie, la "bonne d'enfant" de la petite Gloria à qui il sert de compagnon "fidèle, aimant et gentil". Bien que muet, le robot semble doté de sentiments. Si on a l'impression au départ qu'il est l'esclave de la fillette, on comprend par la suite que "Gloria tient Robbie pour une personne et non pour une machine".
Dans les nouvelles suivantes, on a affaire à un robot explorateur, Speedy, chargé d'effectuer des prélèvements sur Mercure ("Cycle fermé"), puis à des robots servant à "remplacer la main d'oeuvre humaine aux postes pénibles" comme Cutie qui travaille dans une mine ("Raison"). Plus on avance dans le temps, plus les robots sont dotés de capacités impressionnantes : le Cerveau est une "machine à penser" si ingénieuse qu'il programmera un "bond interstellaire" à deux spationautes ("Evasion!"), le procureur Stephen Byerley est un robot humanoïde si parfait que personne ne réussit à prouver la supercherie ("La preuve"), et l'oeuvre se clôt sur un monde futuriste dirigé par quatre Coordinateurs régionaux qui gèrent l'humanité en s'en remettant aux analyses socio-économiques de la Machine ("Conflit évitable")...
Cependant l'oeuvre d'Asimov n'est pas qu'un roman de science-fiction. J'ai été surprise, d'une part, d'y trouver beaucoup d'humour. Plusieurs récits mettent en scène les spationautes Powell et Donovan à qui il arrive bien des déboires avec les robots! Speedy, rendu fou par les trois lois de la robotique* qui, se contredisant, l'empêchent de prendre une décision, fait l'effet d'un "robot ivre". Cutie, robot capable de discussion raisonnée, refuse de croire qu'il a été monté ("C'est un sceptique") par ces hommes auxquels il se considère supérieur ("Vous n'êtes que des pis-aller") et il sombre dans une crise mystique qui le fait taxer de "cinglé"! Dave, le robot chef d'équipe, ne donne plus d'ordres de travail à ses homologues sans que lui-même comprenne pourquoi ! "Pourquoi faut-il toujours qu'ils déraillent?", se lamente Donovan, tandis que Powell regrette "les bons vieux robots increvables de l'ancien temps" - d'ailleurs, sur Mercure, ils seront sauvés par le vieux robot obsolète ! Ainsi le duo est comique, se chamaillant tout le temps, face à des robots affichant des travers souvent très... humains.
Herbie est un robot... télépathe! Dans l'équipe de direction d'U.S. Robots, chacun lui réclame les pensées secrètes des autres... mais il ne fait que leur dire ce qu'ils désirent entendre ("Menteur")! Suite à une altercation avec un ingénieur, Nestor, vexé du fait de son complexe de supériorité, a décidé de "disparaître"... en se fondant dans la masse de ses 62 compagnons! Il faudra bien de la robopsychologie à Susan Calvin pour démasquer le petit rusé ("Le petit robot perdu")... Et c'est bien là la richesse de l'oeuvre selon moi: Asimov y apporte une dimension d'énigme (comme dans Le club des veufs noirs) qui vient enrichir la dimension scientifique. A chaque fois que les héros sont confrontés à un problème avec les robots, ils font appel à leur capacité de raisonnement, de déduction, menant l'enquête pour en trouver la cause et redoublant de sagacité pour "battre les robots à leur propre jeu", ce qui devient de plus en plus compliqué avec leur évolution!
Il est en effet étonnant de trouver autant de modernité à ce texte écrit en 1950! A la fois dans la langue (grâce à la révision de la traduction, peut-être), qui reste accessible malgré le vocabulaire scientifique. Et surtout dans le contenu, l'auteur ayant anticipé des conceptions techniques qu'on aborde à peine (je pense aux androïdes) et surtout envisagé déjà à l'époque les conséquences socio-psychologiques du développement des robots dans la société humaine. Asimov joue beaucoup autour de ses trois lois, montrant comment l'accentuation ou l'assouplissement de l'une ou l'autre entraîne de subtiles modifications dans les réactions des machines. Car non, un robot n'est pas "qu'un robot" et le sentiment qui persiste à la fin de cette lecture (même si j'en étais déjà persuadée auparavant), c'est qu'il apporte bien plus à l'humanité qu'il ne lui prend. D'ailleurs, "si on pouvait créer un robot capable d'occuper des fonctions officielles, il s'en acquitterait à la perfection. Selon les Lois de la robotique, il serait incapable de causer du préjudice aux humains, incorruptible, inaccessible à la sottise, aux préjugés. Ce serait l'idéal". Alors à quand une machine qui "dirige notre avenir en fonction de la situation mondiale et de la psychologie humaine"?
Patricia Deschamps, juillet 2019
*Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.
Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi.
Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.