Michel Onfray est né en 1959 dans l'Orne. Son père était ouvrier agricole et sa mère femme de ménage. Il fait ses études dans un pensionnat catholique en Normandie (il raconte ces années difficiles dans la préface à La Puissance d'exister).
De 1983 à 2002, après avoir obtenu un doctorat de philosophie, il enseigne dans un lycée de Caen, puis démissionne pour créer l'Université populaire de Caen : libre d'accès à tous, elle doit permettre une démocratisation du savoir. Il y enseigne une "contre-philosophie", faisant redécouvrir tous les philosophes méprisés par la philosophie traditionnelle, notamment les hédonistes. Dans le même esprit, il publie un Antimanuel de philosophie (2001) et une Contre-histoire de la philosophie (2006 à 2009).
"Les philosophes pensent à partir de leur existence propre" (La Puissance d'exister) : Onfray revendique le rôle essentiel du vécu personnel, et donc aussi de l'écriture autobiographique dans la philosophie. Il se réclame de Montaigne dont il reprend la démarche dans son Journal hédoniste, publié depuis 1996. C'est aussi un philosophe engagé, qui affirme : "Je tâche que ma vie soit en cohérence avec mes pensées". La création de l'Université populaire de Caen, mais aussi son implication politique aux côtés de la gauche alternative en sont la preuve.
Texte : Hatier poche collège 2009 (Classiques & cie)
Michel Onfray revient sur son enfance et son adolescence dans Le Corps de mon père, et raconte un épisode important de sa vie d'adulte dans Autobiographie de ma mère.
Le Corps de mon père
Le père du narrateur subit une lourde opération mettant sa vie en danger. Craignant de le perdre, le narrateur se remémore leur relation depuis son enfance et lui rend hommage à travers l'écriture d'un portrait découpé en plusieurs scènes.
Autobiographie de ma mère
Femme fragile, la mère du narrateur est habitée par une cassure originelle: confiée à l'Assistance publique dans son enfance, elle ignore ses origines. Soixante ans après, elle consulte enfin son dossier personnel en compagnie de son mari et de son fils, le narrateur.
Mon avis :
Deux courts textes dans lesquels le philosophe analyse en quoi les personnalités de ses parents ont influencé la sienne.
Le Corps de mon père débute par une évocation vivante des souvenirs du quotidien de l'enfance autour des odeurs et des bruits : "Mon père, c'est d'abord ce fumet de café". C'est aussi l'odeur de la ferme (son père est ouvrier agricole), un corps solide mais meurtri qui endure tant, et ce "mutisme éloquent" qui le caractérise : "Il croit moins aux mots qu'à la présence minérale des êtres". Les paroles sont rares mais précieuses ("Il s'agit de respecter la parole donnée") et "la tendresse ne se disait pas". Pour autant les moments de complicité existent, comme le démontre cette très belle scène (muette) où l'intensité des sentiments est exprimée par une simple main posée sur la tête. On sent chez le narrateur un respect profond pour ce "père digne" malgré la dureté de sa vie, une admiration sans faille de petit garçon qui épie en cachette pour ne pas troubler la sérénité de celui qui, pour faire vivre sa famille, subit chaque jour un travail aliénant, harassant : "Quelles émotions, quelles réflexions (...) il a dans l'esprit. Je ne saurai jamais". En a-t-il seulement le temps et l'énergie ?
A l'opposé, la mère semble plus torturée, traumatisée par une enfance douloureuse. L'épisode évoqué (la consultation de son dossier à l'Assistance publique) est plein de tension, bouleversant, tandis que le trio écoute "l'énoncé des raisons pour lesquelles un jour, des parents abandonnent leur enfant". Le narrateur, cette fois, bouillonne.
Car le narrateur ne se contente pas de raconter : il analyse. Son père était mutique, lui est bavard. Il était démuni, n'ayant "ni les mots, ni les moyens, ni l'occasion, ni le temps" : lui médite, écrit, libérant et défendant ses opinions. Sa mère est obnubilée depuis toujours par ses interrogations, son besoin de combler le vide de ses origines, lui agit : "L'écriture de mes livres m'empêche une giration désespérée". Ses parents étaient résignés, lui se rebelle, exprimant son sentiment d'injustice contre "le cynisme des chefs" qui 'exploitent sans vergogne" leurs ouvriers, se révoltant contre "l'incompétence affective" du fonctionnaire quand "l'alchimie bureaucratique réduit l'existentiel incarné à du papier pelure". On le sent indigné, insoumis, agitateur même.
Enfin, dans un troisième temps, les rôles s'inversent. Le petit garçon est devenu adulte, il réalise que "mon père était mortel" tandis que celui-ci s'apprête à subir une lourde opération cardiaque. A la sortie de l'Assistance publique, face à sa mère bouleversée, il se fait apaisant, nuançant les informations reçues, rassurant, déculpabilisant : "Je tâchais de réduire tout cela à de nouvelles perspectives, moins moralisatrices". Ainsi on sent bien l'évolution entre les deux textes, le passage du temps a fait son oeuvre, il est désormais "le père de mes parents", l'occasion est venue de leur rendre tout cette affection qu'ils lui ont apporté, dans tous les gestes, les attitudes du quotidien qui semblent parfois si anodins.
Si la façon de s'exprimer de Michel Onfray se densifie parfois de vocabulaire spécifique et de références culturelle, j'ai apprécié son écriture sans détours, cette façon objective de présenter les situations tout en incluant une richesse d'émotions, cette façon inédite d'allier la crudité des faits à l'authenticité des sentiments, la sensibilité de l'homme au recul du philosophe - en un mot l'honnêteté, envers soi et les autres, qualité indispensable à qui veut avancer dans la vie, cette "perpétuelle apocalypse d'éléments".
Patricia Deschamps, mai 2017