Dès qu'un homme tombe entre les mains de la justice, il n'est plus qu'un être moral, une question de Droit ou de Fait.
Pour tous, le colonel Chabert est mort à Eylau, la bataille de Napoléon contre les Russes et les Prussiens le 8 février 1807. En réalité, il a été enterré vivant...
Lorsqu'il regagne la France, méconnaissable, sa femme est devenue la comtesse Ferraud et Napoléon a fait place à Louis XVIII.
Sans fortune, sans repère autre que ses souvenirs glorieux, Chabert parviendra-t-il à trouver sa place dans un monde où la justice semble parfois plus procédurière qu'humaine ?
(4e de couverture)
Mon avis :
C'est un élève qui m'a conseillé ce classique et c'est suffisamment rare pour que j'en tienne compte! L'histoire du colonel Chabert, revenu d'entre les morts mais que "la société entière veut faire rentrer sous terre" est terrible.
Le roman s'ouvre sur une scène à l'étude d'avoué aux allures de sketch. D'une part parce que personne ne prend au sérieux cet homme sensé être "mort à Eylau", et d'autre part parce que le contraste est saisissant entre la vitalité et la légèreté des jeunes clercs en plein déjeuner et le vieil homme usé et affamé, le "vagabond", qu'est devenu le colonel. C'est triste et drôle à la fois.
Il est vrai que son histoire semble invraisemblable. D'ailleurs "les gens de loi m'ont tous pris pour un fou". Derville est le premier à l'écouter avec bienveillance et à croire le concours de circonstances (tombé en catalepsie, comme l'Olivier Bécaille de Zola, puis enterré vivant sur le champ de bataille) ayant mené à cette situation.
En vérité, Chabert dérange et cela arrangerait tout le monde qu'il reste officiellement mort ("Il s'agit de le prouver judiciairement à des gens qui vont avoir intérêt à nier votre existence"), à commencer par sa femme qui a empoché la rente et s'est remariée ("L'on m'a cru mort, me voilà! Rendez-moi ma femme et ma fortune; donnez-moi le grade de général auquel j'ai droit"). Pour autant l'affaire n'est pas si simple...
D'abord Chabert doit prouver son identité. Sa femme le pourrait mais n'y trouve aucun intérêt ("Elle est décidée à tout pour arriver à ses fins"). Manipulatrice, elle le prend par les sentiments ("Je la désire et la maudis tour à tour") pour le piéger ("Je dois rentrer sous terre"). Résultat des manœuvres, l'ancien colonel finira "dégoûté de l'humanité" ("Je ne suis plus un homme"). L'histoire prouve surtout qu'il existe "des crimes contre lesquels la justice est impuissante. Toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité."
Patricia Deschamps, janvier 2024