- Roman inspiré de l'adolescence du danseur étoile russe Rudolf Noureev -
A la fin du cours, j'étais en nage, mais heureux. J'avais oublié ma figure abîmée et mon ventre vide, le froid dehors et la ville sale, le portrait criard du Petit Père et les affreuses
cravates ardoise des Jeunesses communistes, le pain au goût de carton et les patates bourrées de germes, les chiffres de la production de charbon et les cadences à rattraper à l'usine de mon
père. Je me demandais souvent à quoi tout cela servait. Mais la danse avait tout balayé. Je revivais.
URSS, 1951.
La seule passion de Rudi, c'est la danse. Vu son talent, Mme Oudeltsova, une ancienne danseuse étoile, accepte en secret de lui donner des cours gratuitement. Tous les jours Rudi s'entraîne donc dans sa cabane à enchaîner les jetés et les pirouettes pour devenir un grand danseur plus tard. Même s'il manque souvent l'école et même s'il se prend régulièrement des raclées par son père...
Car celui-ci est radicalement opposé au projet de son fils : "la danse, c'est pour les tapettes", "l'Union Soviétique a besoin de gens qui pensent, pas de gens qui dansent", et il envisage plutôt pour Rudi le métier d'ingénieur ou de médecin. De toute façon, la famille est trop pauvre pour lui payer un billet de train pour Leningrad, que ce soit pour participer au concours de danses folkloriques ou intégrer le ballet du Kirov.
Or, pour devenir danseur, Rudi devra bien un jour quitter Oufa, "le trou du cul du monde soviétique"...
Mon avis :
Quel roman riche et passionnant ! On y partage la passion de Rudolf Noureev pour la danse bien sûr, mais on découvre surtout les terribles conditions de vie des Soviétiques étouffés par le communisme stalinien, ce "Petit Père qui a fait de notre pays une grande puissance" mais qui "décidait de tout". Le quotidien de Rudi, c'est la faim et le froid, l'attente au boulanger pour obtenir une malheureuse boule de pain noir et dur, passer l'hiver avec une veste élimée et deux fois trop petite parce qu'elle a servi à ses trois sœurs auparavant. Mais le communisme, c'est surtout ne rien pouvoir faire "sans avoir toute l'Armée Rouge sur le dos"... Toute forme de liberté est proscrite, jusqu'au choix des lectures et des écoutes musicales. Par opposition, le libéralisme américain fascine l'adolescent : "J'ai découvert que certains artistes avaient pu imaginer ce qu'ils voulaient et peindre ce qu'ils avaient en tête."
Rudi est bien déterminé à devenir un artiste lui aussi. Avide d'apprendre, il observe chaque mouvement des danseurs de l'Opéra, s'entraînant inlassablement sous la protection de sa mère et de ses sœurs qui cachent au mieux ses incartades au père. Car le jeune garçon a l'esprit frondeur, il refuse de rentrer dans le rang "comme un bon Soviétique", de se soumettre à la politique du pays qui le place dans un carcan comme s'il était "une possession de l'Union soviétique". Il veut décider de sa vie ! Son caractère subversif lui vaut bien des brimades tout au long de sa carrière, mais c'est aussi ce qui l'amène à avancer et fera de lui un célèbre danseur étoile.
L'écriture est fluide, la narration rythmée, et le récit, à la 1ère personne, nous immerge parfaitement dans l'esprit de cet adolescent passionné et rebelle, curieux et critique, qui conquiert sa liberté avec courage et persévérance malgré les obstacles. Un roman richement documenté qui m'a donné envie de passer des heures à regarder images et vidéos de ce talentueux danseur !
Patricia Deschamps, juillet 2015
L'avis de Michaël (14 ans) :
Ce roman a vraiment été une surprise pour moi ! Ce n'est pas un livre que je pensais aimer parce que je ne m'intéresse pas du tout à la danse classique. Mais j'ai été d'emblée plongé au cœur de la vie de Rudi, et je me suis bien attaché à lui. Cette biographie se lit toute seule et j'ai adoré, même si le fort caractère du personnage m'a plus d'une fois agacé ! J'ai été impressionné qu'il parvienne à un tel niveau vu d'où il était parti : il vivait vraiment dans la misère ! Mais il avait une volonté de fer. De plus son pays était une dictature, c'est Staline qui décidait de tout et les Russes vivaient avec plein d'interdits. Au bout du compte "le petit père du peuple" leur faisait beaucoup de mal. Et du coup Rudi ne rêve que de liberté. Quand il commence à voyager, il s'émerveille d'un rien, tout lui semble extraordinaire. C'est avec regret que j'ai refermé ce livre ! J'ai été un peu déçu aussi à la fin parce que j'aurais voulu savoir ce qui lui arrive par la suite !
Mars 2016
♦ Et aussi...
Un documentaire pour connaître la suite du roman !
La biographie de Rudolf Noureev a été adaptée au cinéma en 2019 par Ralph Fiennes.