Entre l'asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes.
1885. Comme chaque année, à la Salpêtrière, se tient le très mondain « bal des folles ». Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n’est rien d’autre qu’une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de l’exposition des fous.
(4e de couverture)
Mon avis :
On m'a recommandé le film alors comme à chaque fois, je commence par le livre! Comme dans la bande dessinée Nellie Bly, on est aux côtés de femmes internées davantage parce qu'elles dérangent que pour une réelle folie. La Salpêtrière est "un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d'avoir une opinion".
Avec le Dr Charcot, qui "depuis des années étudie, dans leur plus profonde vulnérabilité des femmes rejetées par leur famille et la société", les mentalités sont sensées avoir évolué. Même si certaines, comme Thérèse la tricoteuse, enfermée depuis plus de vingt ans, ont le sentiment d'être protégées ("On est entre femmes"), on a tout de même l'impression que le neurologue propose un "cirque à femmes" avec ses consultations médicales et ses séances d'hypnose publiques: "La maladie déshumanise; elle fait de ces femmes des marionnettes entre les mains de médecins qui les manipulent (...), des bêtes curieuses qui ne suscitent qu'un intérêt clinique. Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes (...): elles sont des malades. Des folles. Des ratées". Quant au fameux bal, il ressemble davantage à un spectacle exhibitionniste amusant les bourgeois qu'un véritable moment mondain ("Les folles n'effrayaient plus, elles fascinaient").
Dans ce roman on suit trois personnages: la jeune Louise, "punie" à 13 ans d'avoir été violée par son oncle ("Ma sœur a pardonné à son mari et grondé ma Louise. C'est là que ses crises ont commencé.") ; et Geneviève l'infirmière dont les certitudes vont être ébranlées par Eugénie, issue d'un milieu bourgeois et récemment internée par sa famille car elle "communique avec les défunts". Eugénie est intelligente et cultivée, elle sait argumenter, et la scène où elle affronte les médecins est savoureuse ("Vous redoutez juste ce que vous ne comprenez pas"). Malheureusement elle reste une femme dans un monde patriarcal... dont l'honneur sera relevé par son frère Téophile, seul à éprouver "un sentiment terrible d'injustice" ("Nous n'avons laissé aucun choix à Eugénie").
Charcot est assez peu présent physiquement mais son aura à l'asile est impressionnant ("Il règne en maître sur l'hôpital"). Geneviève reviendra néanmoins sur son opinion lorsqu'elle réalisera que, comme tous les hommes (à commencer par son père), il n'accorde aucune légitimité à ses propos malgré son statut de soignante et son ancienneté dans le métier. Dès lors elle comprendra que la liberté est davantage affaire d'état d'esprit que de murs...
Patricia Deschamps, septembre 2022
♦ L'adaptation BD de Véro CAZOT (scénario) et Arianna MELONE (dessin)
La structure de cette adaptation BD ne suit pas celle du roman néanmoins le récit est plutôt clair et fluide. L'aquarelle donne un style particulier, légèrement flouté. J'ai aimé les jeux de couleur mais j'ai trouvé que l'expression des visages manquait de précision, d'autant que l'on perd déjà en subtilité psychologique par rapport au roman. Par contre il y a plus de recul, selon moi, au niveau des personnages: Charcot est clairement représenté comme un marionnettiste, les médecins comme "des crétins en costume" et le rôle de Thérèse l'ancienne, qui observe et comprend tout derrière son tricot, est accentué. C'est un bon complément pour qui aime ce genre de graphisme.
Patricia Deschamps, septembre 2022