- Alors, ça vous fait quoi d'être libres?
- Je ne sais pas encore, c'est trop récent. Il faut que je m'habitue.
Au milieu du siècle dernier, des animaux s'évadent du zoo de Moscou. C'est l'hiver, il neige. L'ours mène la drôle de meute, composée de trois loups, d'un échassier, d'un porc-épic, d'un pingouin et d'autres animaux. Ils sont suivis par le vieux gardien du zoo, toujours silencieux. Mais où aller? Tandis qu'ils avancent dans les paysages rudes de la toundra, certains redeviennent sauvages alors que d'autres semblent plutôt s'humaniser.
Mon avis :
Au début je n'ai pas compris pourquoi les éditions Gallimard m'envoyaient cet album alors que je chronique essentiellement des livres niveau collège. Et puis j'ai vu que l'histoire était de Vincent Cuvellier, dont j'avais apprécié la bande dessinée Le temps des Marguerite. J'ai commencé à le lire et me suis rendu compte que non seulement le texte pouvait accrocher des petits lecteurs de 6e, mais aussi qu'il se prêtait à une lecture à voix haute (parfois je leur lis des histoires en fin de cours et je publie également des enregistrements sur la chaîne Youtube Takalirsa). Donc c'était parti, je me suis plongée dans ce grand et bel album.
Le graphisme est particulier, sobre mais avec un effet de pointillisme, et concentré sur les trois couleurs bleu, rouge orangé et gris. Le groupe d'animaux est mené par l'ours du zoo qui s'est doucement imposé comme chef, du fait qu'il soit à l'initiative de l'évasion. J'ai beaucoup aimé ce personnage, leader un peu malgré lui, qui continue de douter malgré la confiance aveugle que les autres ont placée en lui. C'est l'animal qui se rapproche le plus de l'homme dans son attitude: il marche sur deux pattes, rêve d'éloquence ("Si nous les animaux, on savait faire des discours comme ça, fini les chaînes et les cages"), et surtout, de liberté. Il y a sûrement des références historiques dans cet album se déroulant en Russie (le gardien a connu "deux guerres et une révolution", "Le fleuve qui avait coûté à Napoléon Ier des dizaines de milliers d'hommes") mais je n'ai pas bien compris le rapprochement. Une référence aux goulags?
L'histoire est en effet entre la fable et le conte initiatique. On suit le groupe d'animaux à travers leur longue marche dans la neige, dans la plaine puis la forêt. "C'est joli" et très poétique. Si les trois loups retournent à l'état sauvage, les autres se montrent solidaires entre eux, les plus gros portant les plus petits. C'est à la fois un retour à la nature et à sa nature, à son état naturel, propre à son espèce ("Personne ne te jugera").
La fin par contre n'est pas simple à comprendre. C'est une sorte de monde à l'envers, car ce sont les animaux qui "paient" ("ceux qui n'avaient pas de roubles déposèrent des pommes de pin") pour observer les humains du village où ils sont arrivés. A travers les fenêtres, comme une mise en abyme ou une boucle sans fin, ils voient des enfants jouer avec des animaux en bois... Du coup je suis un peu partagée: le texte est très beau, idéal à raconter, mais je ne suis pas sûre que les (jeunes) lecteurs en comprendront la signification.
Patricia Deschamps, novembre 2020