Avec les mains, les regards, le visage et le corps, on peut aussi dire plein de choses.
Chaque fois qu'elle doit aller au collège, Nine a mal au ventre.
"Moi, je n'aime pas le bruit, je n'aime pas quand il y a du monde autour de moi, je n'aime pas être bousculée, je n'aime pas être enfermée. Le collège, c'est tout ça en même temps."
Tétanisée, inattentive en classe, démotivée depuis qu'elle a redoublé, ses résultats chutent.
"Question scolarité, j'ai décroché."
Tout ce que Nine apprécie au collège, c'est Ulysse, le nouvel assistant d'éducation, si séduisant et sympathique.
"Ulysse, c'est du rêve. Mais ça me permet de tenir le coup."
Pour se rapprocher de lui, Nine se dit qu'elle pourrait devenir copine avec son frère Noah qui est en 4e. Mais ce que ne sait pas l'adolescente, c'est que Noah est sourd... Comment entrer en contact avec lui ?
Mon avis :
Ce qui touche, tout d'abord, dans ce roman, c'est le profond mal-être de Nine. Vivant avec dans le ventre "une boule pleine de douleur", la jeune fille se sent constamment oppressée, écrasée. Sa phobie scolaire ne semble échapper ni à ses camarades ni à ses enseignants ("tout le monde sait que tu es ailleurs, tout le temps") mais personne n'a l'air de mesurer la gravité de la situation... Les parents, convoqués, sont clairement démunis. Ainsi, en classe et chez elle, Nine ne fait rien d'autre que penser à Ulysse, sorte de bouée à laquelle elle se raccroche misérablement. Car Ulysse a 23 ans, il est donc évident (sauf pour Nine !) qu'il ne s'intéressera jamais à une adolescente de 5e. Même Célia, sa seule amie, n'arrive pas à lui faire entendre raison.
Tout bascule lorsque Nine découvre le monde des sourds. Ils sont quelques-uns, dans son collège-pilote, à suivre des cours adaptés. Il est par ailleurs aussi possible, pour les entendants, de suivre des cours de langue des signes française (LSF). Peu à peu captivée, Nine fait "ses premiers pas sur une autre planète", essayant de comprendre "ça fait quoi, d'être sourd ?". Comme dans le roman de Janine Teisson Ecoute mon cœur, on apprend plein de choses sur l'histoire de la LSF, et surtout les obstacles qu'elle a pu rencontrer au fil du temps pour s'imposer en tant que langue à part entière. Aidée par sa nouvelle amie Marion, Nine se confronte à ce milieu si particulier dans lequel elle se sent impuissante, perdue, "privée de l'essentiel", "comme si un monde s'effondrait". Il lui faut en effet communiquer de manière complètement différente, sans parler, en "signant" avec les mains, accentué de mimiques du visage : "On ne construit pas ses phrases en LSF de la même manière qu'en français. C'est une autre logique". Et Noah ne lui fait pas de cadeau ! Habitué à être rejeté, voire moqué par les entendants, il peine à l'accepter dans son groupe. Surtout, Noah comprend d'emblée que ce n'est pas lui qui intéresse Nine, mais son frère : "Aux sourds, on ne peut rien cacher. Ils savent lire sur le visage des gens, ils voient tout, même ce qu'on veut dissimuler". Cependant, c'est cette faculté à se comprendre au-delà des mots qui va rapprocher les deux adolescents.
Car échanger avec Noah, "ça a du sens", contrairement avec Célia : "on parle beaucoup, mais souvent pour ne rien dire d'important". Quand on manque de vocabulaire pour s'exprimer, on va à l'essentiel. Quand on s'exprime avec le corps, on ne peut (se) mentir. Passer du temps avec Noah apporte à Nine la motivation qui lui manquait. En cours, elle se montre plus attentive et même, "j'ai fini par rire à mon tour" ! Certes le mal de ventre est toujours là, "mais moins qu'avant". Ainsi, avec Noah, de nouvelles perspectives s'ouvrent. "Ça va être difficile ? - Non. Pas difficile mais... - Différent ? - Oui. Différent."
Patricia Deschamps, mars 2017
Pour voir d'autres livres sur le même thème :
Pour apprendre la LSF :