La poupée

nouvelles de Daphné DU MAURIER

- Drôle de monde, hein ?

- Oui - drôle de monde.

(Mazie)

En 2010 une libraire anglaise découvre cinq nouvelles inédites de Daphné du Maurier, dont la sulfureuse Poupée.

 

Écrite en 1928 par une Daphné du Maurier de 20 ans, La Poupée raconte l'histoire d'un homme qui découvre que Rebecca (déjà !), la jeune femme qu'il aime, lui préfère un automate, un sex toy grandeur nature... Aucun éditeur de l'époque n'avait voulu publier cette nouvelle « so shocking » !

 

Ont été rassemblées autour de ce texte-événement douze autres nouvelles de jeunesse (pour la plupart publiées dans des magazines) inédites en France.

(4e de couverture)

Mon avis :

Ce sont des nouvelles de jeunesse (écrites entre 1926 et 1932) et déjà tout un univers propre est mis en place. On y retrouve à la fois tout ce qu'aime Daphné du Maurier, comme la nature sauvage et surtout la mer (Vent d'est), une vie simple et paisible et le besoin presque viscéral de solitude (Tempéraments contraires), mais aussi des thématiques fortes qui seront développées dans ses romans best-sellers.

 

Plusieurs histoires évoquent l'amour et ses désillusions, depuis l'orgueil qui empêche d'avouer ses sentiments et met en péril le couple, la jalousie qui mène à la folie et au drame, en passant par l'amour inconditionnel et destructeur (l'héroïne de Piccadilly m'a rappelé Albertine Sarrazin) jusqu'au désir éphémère cause de bien des désespoirs (Le chagrin n'a qu'un temps, Et ses lettres se firent plus sèches). C'est grinçant (on comprend l'engouement d'Hitchcock pour la plume de l'écrivain!), parfois saisissant, en tout cas intense et sans concession. Dans la fameuse Poupée qui choqua tant à l'époque, on est franchement dans l'obsession et le malsain, dans la dissimulation aussi, autour d'une (première) Rebecca déjà femme fatale et dominatrice. Idem dans Notre Père que j'ai beaucoup aimé, avec son prêtre charismatique et imbu de lui-même jouant les mondains, et prêt à toutes les corruptions pour avoir sa place parmi les notables de la région. Se laisser séduire par le pouvoir de l'argent et de la position sociale, pas très chrétien!.. Malsains également le regard que l'oncle John pose sur la jeune narratrice tout juste sortie de pension et la jalousie de sa mère qui lui envie sa jeunesse... Le Minet, c'est clairement le récit d'une innocence perdue. J'ai aussi été touchée par Mazie, la prostituée qui, confrontée à la dure réalité de sa condition, va peu à peu perdre ses rêves d'ailleurs.

 

Cependant je crois que ma nouvelle préférée est La vallée heureuse qui raconte, entre fantastique et onirique, l'obsession d'une femme pour une maison, tout comme Daphné fut sous le charme de Menabilly qui lui inspira Manderley ("La maison l'attendait").

Au milieu de ces sombres histoires s'en distinguent deux pour leur côté drôle: Frustration et Week-end. L'une raconte les déconvenues de jeunes mariés jouant de malchance, et l'autre un amour aussi niais qu'éphémère.

Celle qui clôt le recueil, écrite plus tardivement, est un régal d’ambiguïté (comme dans Ma cousine Rachel). La narratrice de La Sangsue manipule tout le monde autour d'elle sans que l'on sache véritablement si c'est en toute naïveté ou pas. Persuadée que "les gens dépendent de moi", elle use et abuse de chantage et autres commérages en se persuadant que c'est pour leur bien. Comme à chaque fois, les sentiments sont dépeints de manière très juste, tout-à-fait crédible, et l'écriture est parfaitement addictive!

Les textes de Daphné du Maurier, j'en redemande!

Patricia Deschamps

Septembre 2019


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