Judith, comme pétrifiée, suivit des yeux chaque geste du bourreau qui, après avoir soigneusement tailladé la couverture et laissé de larges balafres sur les pages, prit enfin une torche pour mettre le feu à l'ouvrage. Les roulements des tambours, les cris exaltés des spectateurs hurlant "A mort les hérétiques !" se mêlaient en un infernal charivari.
Nous sommes en plein siècle des Lumières à Paris. Diderot et ses comparses philosophes travaillent sur leur fameuse Encyclopédie, suscitant de nombreuses polémiques. A cette époque, les publications sont en effet contrôlées par la Censure, qui surveille l'éventuelle parution d'idées contraires à la volonté royale.
Judith connaît bien ces problématiques puisque son père est imprimeur-libraire. Passionnée par le métier, la jeune fille de dix-sept ans passe des heures à l'atelier à regarder les ouvriers composer, encrer et relier les manuscrits. Malheureusement, en 1759, la gente féminine n'est pas sensée aspirer à de telles occupations...
Pourtant, Judith va être malgré elle propulsée responsable de l'imprimerie : ce matin-là, la police débarque à l'aube pour emmener son père à la prison de Vincennes, sur lettre de cachet ! Qu'a donc fait M. Amelot pour s'attirer les foudres du roi ? Quand va-t-il être libéré ? Et surtout, comment gérer atelier et boutique en son absence ?
Secondée par sa mère et sa soeur aînée, soutenue par un mystérieux admirateur, Judith a à coeur de prouver qu'une femme peut endosser les responsabilités d'un homme. Mais dans l'ombre, un terrible adversaire s'évertue à saboter le travail d'impression...
Mon avis :
Voici un roman historique de grande qualité ! S'appuyant sur de solides recherches, les deux auteures ont habilement mêlé les connaissances au récit. L'écriture est très soignée et enrichie du vocabulaire de l'époque (y compris pour les insultes !) sans que l'ensemble se révèle indigeste. Au contraire, c'est un véritable délice que cette plongée originale dans le monde du livre en plein siècle des Lumières, autour de cette idée force : "interdire un livre n'empêchera jamais les idées de se répandre".
Très fort également le thème de la condition féminine au 18e siècle : Judith est une héroïne au fort caractère qui refuse de capituler dans l'adversité et surtout, qui tient tête aux hommes et se bat pour s'imposer. Elle n'en est pas moins sensible à leur charme... rougissant sous les mots de cet élégant auteur séducteur, Bec de Quatreterre, et revigorée par les lettres anonymes que lui envoie son amoureux secret.
Polémiques historiques, suspens et sentiments : La plume de l'ange est une réussite à tous points de vue, et j'aurai plaisir à découvrir d'autres de ces "écrits à quatre mains" comme L'encrier du diable (la suite des aventures de Judith) et Le singe de Buffon !
Patricia Deschamps, juin 2013